L'échange
Christine Collins, l’héroïne du vingt-huitième film du vétéran Eastwood, vient du fin fond de l’Histoire récente de l’Amérique, celle des années 20 et de la corruption policière, du procès de Fatty Arbuckle et de ces starlettes bientôt reliftées façon Dahlia noir.
Back to L.A donc, à quelques semaines du Jeudi Noir de John Ford et à mille des Roaring Twenties de Raoul Walsh, lorsqu’une femme célibataire (Angelina Jolie) se transforme en mère courage après la disparition de son jeune fils Walter. Deuil douloureux mais interrompu au bout de quelques mois par une annonce aux allures de miracle : Walter a été retrouvé dans un bled paumé de l’Illinois. Christine se précipite à la gare, la police de L.A jubile (pour elle, c'est l'occasion rêvée de redorer le blason d’une image gris foncé), et premier coup de théâtre du film : « Cet enfant n’est pas mon corps », murmure Christine aux autorités qui font la sourde oreille. Le fils prodige revient mais sous les traits d’un autre.
On pense alors aux body snatchers de Siegel (mon fils contre un autre, remplacement d’un côté, échange de l’autre), à ceci près que nous, spectateurs, avons vu dès la séquence d’ouverture le vrai visage de Walter, et pouvons constater avec sa mère que le rejeton qui sort du train n’est qu’un faux grossier de l’original, sa version campagnarde et mal dégrossie.
Du coup, la croisade entêtée de Christine Collins emprunte la voie d’un mélodrame dur et automnal, eastwoodien en diable, entre Mystic River pour la radicalité d’un Mal inintelligible et sans motifs apparents (là aussi, un assassin d’enfants canadien que nous suivrons jusqu’à l’échafaud) et Harry Callahan, père de tous ces personnages partis en guerre contre des institutions autoritaires, inhumaines et corrompues (le gunfighter d’Impitoyable, le voleur de Jugé coupable…). Dans sa ligne mire, une police qui écrase à coup de bottes, chevrotine toute forme de contestation et cloue le bec des opposants entre les murs d’un asile psychiatrique.
Après avoir courbé l’échine et subi les humiliations d’une Amérique conservatrice, Christine Collins, dont l’histoire exemplaire fut exhumée des archives de L.A par le scénariste Michael Straczynski, relève la tête avec l’aide d’un révérend pourfendeur de la LAPD (John Malkovich) et d’une prostituée.
Si la filiation, brutalement interrompue, constitue le fil souterrain de L’échange, le récit s’élargit par à-coups du fait divers à l’abstraction totale vers une forme de critique de tous les pouvoirs institutionnels que Eastwood filme (un peu trop) en lettres capitales (la Justice, l’État…). Comme Million Dollar Baby et sa fin si décriée, L’échange glisse vers la métaphysique, le religieux, sereinement et en toute connaissance des risques.