Joni Mitchell : Both Sides Now
Curieuse entreprise que de revenir sur la prestation mouvementée de la songwriteuse Joni Mitchell dans le cadre du Festival Isle of Wight en août 1970. C'est en effet face à un public dissipé et dans une ambiance minée par des protestations (une partie du public souhaitait en effet que le festival soit gratuit et montrait sa désaprobation face aux barrières empêchant l'entrée libre au site) que la compositrice américaine arrive sur scène en plein milieu de l'après‑midi alors qu'elle n'était censée jouer qu'en soirée (car les autres groupes étaient... en retard !). S'en suivit un bref concert de 50 minutes en onze morceaux dont la première moitié fut marquée par diverses interruptions et qui ne trouva un peu d'apaisement que dans la hausse de ton de Joni Mitchell, traitant le public de « touristes » et leur demandant un peu plus de respect.
Mi‑concert, mi‑documentaire, Both Sides Now reste constamment indécis sur ce qu'il veut dire et montrer. D'un côté, il est le portrait d'une compositrice unique au début d'un âge d'or artistique qui allait se poursuivre tout au long des années 70, venant alors tout juste de sortir l'album Ladies of the Canyon. Seule en scène, tantôt timide tantôt inébranlable, passant de la guitare au piano, Joni Mitchell interprète quelques‑uns de ses plus beaux morceaux (Woodstock, Both Sides Now) avec puissance et sensibilité. Des titres intimes qui semblent si peu à leur place dans cet antre bruyant de rêveries post‑hippies en pleine déliquescence.
C'est d'ailleurs l'autre sujet du documentaire, le semi‑fiasco du Isle of Wight 1970 qui, s'il n'a pas tourné à la tragédie comme à Altamont en janvier 1970 (documenté dans le déprimant Gimme Shelter, film sur les Rolling Stones coréalisé par les frères Maysles et Charlotte Zwerin), n'en était pas moins une étape de plus vers la fin piteuse des idéaux hippies à la fin des années 60, s'encombrant de querelles dans une ambiance tendue et délétère. Joni Mitchell, retirée du monde de la musique en 2007, revient elle‑même sur l'événement dans de larges extraits d'un entretien qu'elle avait donné en 2003 sur le sujet. On retrouve alors la compositrice particulièrement acerbe sur l'expérience (souvent à raison, comme quand elle rétorque à ceux qui voulaient que le festival soit gratuit : « Les chaussures ne sont pas gratuites, la musique non plus ! »), jetant un regard doux‑amer sur l'expérience et plus généralement sur cette période.
Portrait d'une artiste en fleur et d'une époque en décomposition, Both Sides Now reste cependant un collage dont il est difficile de comprendre tout à fait la raison d'être. Se contentant de ses deux seules sources (l'interview de Mitchell en 2003 et des images du festival restaurées en 2K avec soin), difficile de ne pas imaginer ces deux éléments pouvant vivre indépendamment au sein d'un même Blu‑Ray, le concert intégral d'un côté et l'entretien de l'autre. Car si les évocations a posteriori de la musicienne et les montages d'images du festival peuvent éclairer sur les conditions du concert et les raisons de ses débordements (qui ne sont, finalement, pas si dramatiques que ça), les deux viennent parfois un peu se parasiter. Reste la présence de Joni Mitchell qui brille à tout âge, qu'elle chante en 1970 ou nous raconte ses souvenirs en 2003. Et face à cela, on peut bien oublier tout le reste.