par Carole Lépinay
14 février 2020 - 05h00

Joker

année
2019
Réalisateur
InterprètesJoaquin Phoenix, Robert De Niro, Frances Conroy, Zazie Beetz, Brett Cullen, Shea Whigham
éditeur
genre
notes
critique
10
10
label
A

À l’instar de son héros éponyme, Joker de Todd Phillips (la saga Very Bad Trip) est un film dingue. D’abord parce qu’il parvient à se frayer un itinéraire singulier parmi toutes les adaptations DC Comics qui l’ont précédées (Batman de Tim Burton, The Dark Knight porté par Heath Ledger au sommet ou le récent Suicide Squad avec Jared Leto), ensuite pour l’exclusivité de ses plans dédiés à l’errance du protagoniste marginalisé, jusqu’à sa monstrueuse renaissance. Seul un agent du chaos chevronné pouvait s’y coller. Joaquin Phoenix (fraîchement oscarisé), terrible et magistral, l’a fait.


Vingt‑cinq kilos de moins, les joues creuses et les traits tirés, Phoenix campe Arthur Fleck, un jeune homme déclassé qui souffre de crises de rire pathologiques et rêve de percer dans le stand‑up. Mais dans la ville de Gotham (New York de toute évidence) en pleine récession, les rêves de gloire confinent à la désillusion et le bannissement des minorités à la folie sanguinaire. Rebaptisé Joker par Murray, son animateur adulé (Robert De Niro reprend le rôle détestable de Jerry Lewis dans La valse des pantins de Martin Scorsese, 1982), Arthur Fleck se défend d’être l’instigateur d’une spirale insurrectionnelle depuis le meurtre de trois golden boys dans le métro : comme quoi sa posture apolitique appelle la dynamique inverse. Celui que la société ne voyait pas s’impose finalement en l’atomisant à distance, derrière un masque reproductible ou à travers un écran de télévision. Les face‑à‑face au miroir et les scènes récurrentes de Fleck (tour à tour clown, rejeton abandonné, showman peinturluré) posté derrière des vitres, rendent parfaitement compte de son enfermement mental.


« Is it just me, or is it getting crazier out there ? ». Dès sa première réplique, Fleck (Joker en devenir) formule son rapport schizophrénique au monde. La caméra ne le lâchera pas, comme si, à son tour, elle souhaitait le retenir dans une bulle hermétique où les cadrans restent figés, les « super rats » rasent les murs, les indignés, masqués à son image, se rebellent et le célèbrent, la mère psycho liquidée. Pulvériser le carcan filial et sociétal afin de (se) révéler son sourire légendaire au public à l’issue d’un épilogue extatique.


Certains reprocheront au lauréat de La Mostra de Venise ses raccourcis subversifs et ses références appuyées (de Taxi Driver à Network, la jungle urbaine et la violence médiatique n’auront pourtant jamais été aussi contemporaines), mais outre que Joker incarne l’un des plus beaux personnages de l’histoire du cinéma, son background d’écorché vif est aussi symptomatique de notre époque. Fini de rire.

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4k
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- de 12 ans
Prix : 34,99 €
disponibilité
12/02/2020
image
1 UHD-66 + 1 BD-50, 121', toutes zones
1.85
UHD 2 160p (HEVC)
HDR Dolby Vision
HDR10
16/9
bande-son
Français Dolby Atmos
Français Dolby TrueHD 7.1
Français Dolby Digital 5.1
Anglais Dolby Atmos
Angais Dolby TrueHD 7.1
Anglais Dolby Digital 5.1
Anglais Audiodescription
Italien Dolby Digital 5.1
Espagnol Dolby Digital 5.1
Hongrois Dolby Digital 5.1
sous-titres
Français, anglais pour sourds et malentendants, néerlandais, espagnol, russe, danois, grec, norvégien, hongrois, roumain, suédois, finnois
10
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image

Désaturée, légèrement décalée dans le temps (le New York de 1981 fut une référence pour le réalisateur), tout en clair‑obscur aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, dotée de plans aériens fictifs sur Gotham absolument sublimes, cette image pas clinquante pour un sou révèle le goût et le talent de Todd Phillips pour les univers complexes et travaillés. La pluie, la nuit, le brouillard et la fumée inondent d'ailleurs l'écran.

 

Malgré ses couleurs sourdes (palette infinie de bruns, de jaunes éteints, de rouges cramoisis, de lie de vin grisou, etc.) et son atmosphère éternellement sombre, pourtant bardée de lumières dont les halos lumineux touchent au sublime avec ce HDR Dolby Vision très efficace, Gotham se montre à la fois angoissante et terriblement attirante, comme ce plan de Coccinelle noire aux reflets ultra‑vernis sur asphalte mouillé au tout début du film.

 

Évidemment, la profondeur d'image, la précision, les contrastes (et quels contrastes), les noirs parfaits et le velouté général contribuent à notre bonheur. Tourné notamment avec des caméras Arri Alexa 65 en 5K et doté d'un Digital Intermediate 4K, ce Joker 4K est assurément une des plus belles images vues depuis un moment avec un aspect sinon argentique, hautement cinématographique. Et il fallait bien toute la brillance du HDR pour animer le jeu des reflets et des miroirs, partie intégrante de la mise en scène de Todd Phillips.

 

La version Blu‑Ray présente quant à elle toutes les caractéristiques précitées mais dans une version moindre, légèrement plus douce, avec des halos lumineux beaucoup moins visibles alors qu'ils émaillent et structurent eux aussi une grande partie du travail du réalisateur et son chef‑opérateur Lawrence Sher. 4K plus que conseillée, obligatoire.  

10
10
son

Tout en retenue et pour ne jamais tomber dans le carcan du film de super‑héros, ce que Joker n'est pas réellement, la bande‑son utilise principalement les talents de la musicienne islandaise Hildur Ingveldardóttir Guðnadóttir, qui a composé le lugubre thème du film au violoncelle. Un refrain tout en suspension et gravité dont chaque note, toujours bien identifiée, scande la sombre destinée d'Athur/Joker jusqu'au final, tragique.

 

Le Dolby Atmos des VO et VF assure une scène sonore centrée sur l'intime mais dense, privilégiant l'illustration de la psyché distordue de Joker plutôt que l'esbroufe. Les phases les plus sonores sont celles de guérilla urbaine en fin de film (passage démo impeccable avec effet dôme immersif et infragraves). Mais ce sont surtout les ambiances qui s'en retrouvent magnifiées, à la fois dans les incessants voyages d'Arthur dans le métro entre son appartement et son travail, avec ses rumeurs métallaliques omniprésentes, et dans la présence de la ville, tapie dans l'ombre et grignotant peu à peu tout l'espace. Dans tous les cas, la sensation de volume, d'architecture « pleine et remplie » et de grandeur est présente.

 

À noter, malgré ses qualités, la voix française ne parvient pas à égaler le jeu, la folie rentrée et la gravité de Joaquin Phoenix. Plus douce et moins flippante, elle colle moins à l'esprit du film.

 

Enfin, mention spéciale côté score à la séquence des escaliers sur le Rock and Roll Part 2 de Gary Glitter, dantesque. Ainsi qu'au choix parfait des titres White Room de Cream ou encore Smile de Jimmy Durante. 

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bonus
- Making of (Devenir Joker/Vision & furie/Merci d’accueillir… Joker !/Photos) (29')
- Blu-Ray du film et bonus

Découpé en quatre parties, le making of raconte les coulisses du film en compagnie des principaux intéressés : le réalisateur Todd Phillips, le coproducteur Bradley Cooper, le comédien Joaquin Phoenix et la comédienne Zazie Beetz.

 

Outre les commentaires sur la naissance du film, la vision de son auteur sur les origines du personnage, ses choix artistiques et techniques, sa capacité à réécrire des dialogues ou des bouts de scène au dernier moment dans sa loge avec ses acteurs, ce sont les différentes prises de Joaquin Phoenix pour une même scène, montées bout à bout, qui impressionnent, donnant un aperçu (le fallait‑il encore ?) de son immense talent et son inventivité pour se réinventer à chaque fois.

 

Ce dernier a d'ailleurs décliné toutes les propositions du réalisateur d'accompagnement par des professionnels de santé pour maigrir de 25 kg et incarner un Joker littéralement cadavérique. Le comédien ne pesait plus que 55 kg à l'arrivée, après une famine toute personnelle à dose d'une pomme par jour pendant tout un été. 

 

Un peu plus loin, des plans avant/après effets spéciaux nous font découvrir comment la ville New York et son architecture se sont transformées par petites touches en évocation de Gotham City. 

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