Jersey Boys
Quatre jeunes gens modestes montent, avec l’appui d’un mafieux, The Four Seasons. Groupe qui va devenir une monumentale machine à tubes dans les années 60, jusqu'au clash fatal qui fera voler en éclat les amitiés au sein même de la petite bande.
Une indiscutable curiosité prélude à ce film : le grand Clint Eastwood qui adapte une comédie musicale à succès outre‑Atlantique ? Avec un casting presque intégralement sorti des rangs du même spectacle ? Une histoire de quatre semi‑voyous qui s’extirpent d’un quotidien misérable par la grâce de la musique ? Oui, Jersey Boys est tout ça, mais surtout une belle déception.
Clint Eastwood ne fait pourtant preuve d’aucune nonchalance pour réaliser cette œuvre de commande : le vétéran a choisi une distribution intéressante (excellent John Lloyd Young à la voix de falsetto bluffante, intéressants Erich Bergen et Vincent Piazza), travaille avec science son cadre et envoie, avec une régularité mécanique digne des meilleurs juke‑box d’antan, des tubes qui sont ‑surprise‑ dans toutes les têtes.
Mais contrairement à un Bird du même réalisateur, qui épousait une ambiance, fendait en deux une époque pour en voir les tripes, prenait le risque de griffer une icône du jazz (Charlie Parker) pour mieux lui rendre son humanité, Jersey Boys reste lisse. Aussi lisse et apprêté qu'une chronique somme toute assez banale de succès, de crise puis de rédemption. La faute en revient au scénario, qui ne prend jamais parti.
Car plutôt que raconter l’histoire du groupe et de sa star, Frankie Valli, en prenant un axe, fut‑il contestable, le film multiplie les points de vue. Chaque personnage interpelle le spectateur en s'adressant directement à la caméra pour raconter l’histoire telle qu’il l’a vécue. Le procédé est vieillot, mais surtout terriblement artificiel puisque les fameux « points de vue » ne font pas avancer l’histoire d’un iota.
Entre de courts instants de comédie enchâssés dans d’interminables numéros musicaux filmés avec luxe et élégance, la vie et l’énergie fuient le récit. Et le biopic, trop peu bavard et trop musical, loupe son sujet. Au bout d’un tunnel de 2h14, un seul constat s’impose : même le grand Clint peut se prendre les pieds dans le tapis. Mais lui, contrairement à beaucoup d'autres, le fait avec élégance.