J'accuse
Soupçonné d’avoir livré des documents secrets à l’Empire allemand, le Capitaine Alfred Dreyfus (Louis Garrel) est arrêté le 15 octobre 1894. S’ensuivent douze années de bouleversements au sein d’une société française, inéluctablement scindée en deux. Tandis que la tension monte entre « Dreyfusards » et partisans de sa culpabilité, le Colonel Georges Picquart (Jean Dujardin), nommé à la tête du contre‑espionnage, met sa carrière militaire en péril afin d’innocenter l’accusé.
Afin d’appréhender ce pan incontournable de l’Histoire de la Troisième République, Roman Polanski délègue la tâche ardue de la reconstitution, doublée d’une enquête politiquement à haut risque, au Colonel Picquart (Dujardin, bloc de droiture et de rigueur formidable). Dans la cour de l’École militaire, la saisissante séquence inaugurale de la dégradation militaire lui assigne le point de vue d’un héros en demi‑teinte. D’abord amusé par le spectacle humiliant qui révèle son antisémitisme (« Il a l’air d’un tailleur juif qui pleure tout son or qui va à la poubelle »), Picquart consacrera pourtant son énergie à obtenir réparation, au nom de la simple vérité.
Car de toute évidence, la lecture impérative des faits se heurte à des interprétations tendancieuses qui font bloc. Qu’il s’agisse des hauts‑gradés de l’armée ou de l’expert en écriture (Alphonse Bertillon campé par Amalric) qui délire un diagramme autour du fameux bordereau prétendument rédigé par Dreyfus, chacun tente de réécrire l’Histoire selon ses impasses, pire, ses limites morales. Broyé à son tour dans la mécanique délétère de l’institution militaire corrélée avec un système judiciaire loin d’être impartial, Picquart poursuit sa bataille à contre‑courant des hommes et d’une époque gangrenés par l’antisémitisme.
Un grand thriller historique sur la mauvaise conscience, derrière lequel s’imposent un sujet résolument moderne et l’image d’une France glauque. « La chienne qui enfanta le monstre est à nouveau en chaleur », conclura le cinéaste, grand admirateur de Bertolt Brecht, à l’issue du making of de son film.