It's a Free World !
Régulièrement récompensé dans les festivals, toujours défendu par la presse militante qui voit en lui un pourfendeur fidèle de l’horreur sociale, Ken Loach occupe dans l’espace cinématographique la place du témoin engagé, celui qui pointe avec efficacité, et un brin de didactisme, les symptômes d’un monde qui va mal. Au présent (Carla’s Song, Bread and Roses), mais aussi au passé (Le vent se lève, Land and Freedom).
Avec It’s a Free World, Loach plonge dans les rouages pervers du capitalisme moderne et suit le parcours d’une jeune mère célibataire qui, après avoir été licenciée, monte sa petite entreprise et applique des méthodes de gestion limites, peu éloignées de celles de ses anciens patrons. En rompant avec la tentation binaire (le Bien d’un côté, le Mal de l’autre), Loach contraint le spectateur à s’identifier à un agneau (formidable Kierston Wareing) qu’il transforme peu à peu en loup, et signe ici, si ce n’est l’un de ses meilleurs films, en tout cas l’un de ses plus convaincants. Pourquoi ? Parce qu’il ne sacrifie pas sur l’autel de la propagande humaniste (le capitalisme, c’est très mal) la complexité de son sujet, qu’il maintient jusqu’au bout entre gris clair et gris foncé.
Issu de la télévision pour laquelle il a tourné de nombreux docu‑drama, Loach ne s’est jamais départi d’un style réaliste, parfois coup de poing, préférant même confier les rôles principaux de ses films à des « vrais gens » plutôt qu’à des acteurs confirmés. Pourtant, ce parti pris possède un revers qui explique le scepticisme chronique d’une partie de la critique, persuadée de la sincérité de son auteur, de la légitimité citoyenne de son travail, mais peu convaincue par ses qualités de cinéaste.
En effet, Ken Loach est plus un chroniqueur qu’un metteur en scène. Au fond, la question de la forme, du cinéma en tant que tel et des horizons métaphysiques qu’il peut ainsi figurer, ne l’intéresse guère. Loach se situe du côté du politique, de l’ici et du maintenant, du diagnostic de nos sociétés contemporaines et, par conséquent, du type d’actions concrètes (un film par exemple) que l’on peut envisager afin de les améliorer. Après tout, c’est un monde libre.