Incroyable mais vrai
Avec un rythme essoufflant d’un film par an depuis 2018, la méthode de Quentin Dupieux semble être aujourd’hui une mécanique bien huilée : des films courts (jamais plus de 80 minutes), absurdes, minimalistes, toujours bâtis autour de concepts ahurissants, venant se placer complètement en porte‑à‑faux du reste du cinéma français. Mais cette cadence montre parfois ses limites, avec l’impression parfois de regarder des films à peine écrits et finis, qu’on aurait servis à table à la moitié du temps de cuisson : si ce je‑m’en‑foutisme à l’arrache avait pu marcher par le passé avec les tordus Wrong Cops ou Le daim, son précédent film Mandibules avait été une vraie déception, avec ses allures de court métrage étiré poussivement. C’est donc un plaisir de voir Incroyable mais vrai remettre un peu de plomb dans la cervelle du cinéma de Dupieux, retrouvant le vertige existentialiste de ses plus belles réussites (Réalité en tête).
Une idée toute bête
Autant en savoir le moins possible sur ce dont parle le film. Il s’agit d’un couple, joué par Léa Drucker (La guerre des mondes) et Alain Chabat (de retour à la télévision récemment), qui achète un pavillon dans un quartier tranquille. Dans la cave de cette maison, il y a quelque chose d’unique, un « vrai plus » comme leur explique à mi‑mots l’agent immobilier (acteur excellent). Et cette chose va bouleverser leur vie. Ce mystère, que Dupieux va dissiper à son rythme (non sans frustration comique), est une idée toute bête qui touche une fois de plus à l’absurde si cher au réalisateur, mais autour de laquelle va graviter tout un étonnant microcosme de personnages comme il aime à les écrire : des gens qui semblent lambda mais se révèlent légèrement détraqués et dont les trajectoires vont lentement dériver vers l’absurde et le fantastique.
Un casting incroyable… mais vrai
Et pour cela, Dupieux peut compter une fois de plus sur des acteurs en or, lui qui aligne continuellement des castings aussi improbables que bien sentis. Parmi eux, Benoît Magimel, en patron adepte d'un certain transhumanisme, est tellement naturel qu’il pourra être difficile de le prendre au sérieux dans ses autres films maintenant. Et puis il y a Alain Chabat, impérial. Au‑delà du plaisir de le revoir dans le contexte d’une comédie barrée, c’est aussi une très touchante performance d’acteur qu’il livre : un Monsieur Toutlemonde qui regarde les choses partir en vrille en essayant de continuer à avancer dans sa vie, en solitaire s’il le faut. Avec Léa Drucker, ils sont terrifiants de naturel.
De la drôlerie au surréalisme
Car derrière les excentricités de son scénario ou ses dialogues potaches, Incroyable mais vrai est peut‑être un des films les plus doux‑amères de son réalisateur, distillant une douce mélancolie : celle de la crise de cinquantaine, de la peur du temps qui passe dans les grandes maisons tranquilles, des couples qui ne savaient plus regarder dans la même direction, des frustrations que l’on pense pouvoir réparer avec de la nouveauté, de l’extraordinaire, sans voir le poison que ces changements peuvent apporter. Et quand, au fil du film, Dupieux commence à espacer les dialogues, à relâcher le rythme blagueur des débuts jusqu’à un final construit comme un tourbillon, rempli d’ellipses et de silences, la comédie s'efface pour nous laisser dans une singulière impression de vide. Un mélange des genres qui évoque son précédent chef‑d'œuvre, Réalité, qui trouve ici un remarquable successeur. Et c’est aussi pour ça que l’on revient vers Dupieux : pour les fois où, après quelques essais à côté, il revient taper dans le mille.