Il était une fois en Amérique
Le 14 juin 1982, soit dix ans après Il était une fois la révolution, Sergio Leone revient enfin derrière la caméra afin d’y réaliser son rêve de jeunesse. Et son film testamentaire.
Avec Il était une fois en Amérique, Leone signe un monument de presque quatre heures (« Une biographie à deux niveaux : ma vie personnelle et ma vie de spectateur de cinéma américain », dira‑t‑il au moment de la sortie du film), chargé des films de gangsters hollywoodiens (L’enfer est à lui, Les anges aux figures sales, Murder Inc., L’ennemi public, Règlements de compte, Les fantastiques années 20), des fables de Charlie Chaplin, du script que Leone avait écrit à l’âge de 19 ans (Viale Glorioso), de la structure éclatée de Citizen Kane, du théâtre chinois de La dame de Shanghaï et des rivalités entre petits voyous dignes de La rue sans issue de William Wyler.
L’histoire débute dans les années 1920, où l’on suit quatre gamins juifs, Noodles, Max, Cock Eye et Patsy, dans un quartier pauvre de New York. Jeux d’enfants insouciants, petites combines et début d’une amitié indéfectible entre Noodles (Robert De Niro) et Max (James Woods), qui charpentera toute la structure narrative du film. Puis Noodles est envoyé en prison pour le meurtre d’un adolescent d’une bande rivale. Il en ressort douze ans plus tard, à l’époque de la Prohibition et constate que ses amis ont fait fortune. Nouvelle ellipse et l’on retrouve Noodles à la fin des années 60, de retour à New York, où il déambule au milieu des vestiges d’un passé qui l’obsède.
Ainsi résumé, Il était une fois en Amérique ne serait qu’une grande fresque de plus, foisonnante et virtuose, sur le thème de la chute et de la décadence d’un gangster américain. Mais le véritable sujet du film est le temps. À Fat Moe qui lui demande ce qu’il a fait depuis trente ans, Noodles répond : « Je me suis couché tôt », citant la fameuse madeleine de Proust dont le film réactive le principe.
Leone entrelace ainsi trois époques (1922, 1933 et 1968), passe sans cesse de l’une à l’autre, mais maintient le sentiment d’un temps flottant et incertain. Il était une fois en Amérique baigne dans un statisme de surface (pas de dramatisation des séquences d’action ou de moments forts de l’histoire) et son rythme, hypnotique et ouaté, épouse l’esprit embué de son personnage principal, qui tente de recomposer son passé (on songe parfois au Point de non retour, ce film de John Boorman que Sergio Leone adorait).
Enfin, Il était une fois en Amérique s’ouvre et se clôt sur la chanson d’Irving Berlin, God Bless America, celle que Michael Cimino, six ans plus tôt, avait utilisée pour la dernière séquence de Voyage au bout de l’enfer. Comme Cimino, Sergio Leone n’a cessé de fantasmer une Amérique mythologique, cinématographique et universelle qui, au fond, n’a jamais existé ailleurs que dans les yeux éblouis du gamin de Trastevere. Il était une fois en Amérique raconte l’histoire de cette désillusion.