I'm Still Here
En 2008, Joaquin Phoenix, après avoir brillé comme à son habitude dans Two Lovers, le drame new‑yorkais du talentueux James Gray, annonce qu'il arrête le cinéma pour se consacrer à sa nouvelle passion, le hip‑hop. Et, en effet, à part une obscure vidéo sur la Toile montrant « J.P. » en train de rapper en boîte de nuit, nous n'aurons plus aucune nouvelle de l'acteur pendant deux ans. Et pour cause : il tournait le documenteur I'm Still Here avec son beau‑frère Casey Affleck (première réalisation de ce dernier), dans lequel les deux compères poussent le canular jusqu'au bout, soit filmer la fausse retraite du comédien, mettre en scène son « caprice » de star et sa descente aux enfers. Affleck avoue finalement, avant la sortie du film, que l'affaire a été montée de toutes pièces.
Mais pour préserver le mystère et aller au bout du concept, il fallut, surtout à Phoenix, une sacrée dose de courage. Car lorsqu'il se rendait dans des talk‑shows pour assurer la promo de Two Lovers, personne n'était visiblement au courant de la supercherie. Ainsi, chez David Letterman, il fait face au public et aux téléspectateurs hirsute, ventripotent et taciturne, mâchouillant un chewing‑gum et finissant par le coller sur le bureau du présentateur… vexé que ce dernier se soit ouvertement moqué de son allure. On frôle le suicide médiatique.
Si, au départ, les deux amis souhaitaient faire une comédie (écrite de A à Z malgré les apparences et le côté improvisé), ils ont surtout profité du raz‑de‑marée qu'a déclenché l'annonce de l'acteur aux médias. Ainsi, peu à peu, le gag s'est mué en réflexion amère sur la manière dont Hollywood conditionne ses stars, les emprisonne dans un moule qui correspond à leur image médiatique, qu'importe si le portrait leur correspond ou non, s'ils s'y sentent à l'étroit.
Surtout, c'est la méchanceté avec laquelle les médias people parlent du nouveau look négligé de Joaquin Phoenix qui frappe ‑et Letterman en premier‑. Même s'il n'est plus que l'ombre de lui‑même (ou plutôt celle d'un homme des cavernes), le comédien est victime de la dictature de l'hygiène et du look qui fait la loi à Hollywood. Dictature qui a dépassé depuis longtemps les frontières du cinéma pour contaminer le monde entier, imposant des normes de beauté via la publicité, la mode.
Il y a du Sacha Baron Cohen ici (Borat, Brüno et bientôt The Dictator), dans les séquences d'orgies (prostituées, coke, alcool et délires scato), mais aussi dans l'impertinence avec laquelle Phoenix et Affleck s'attaquent au star system américain. Et il y a surtout une incroyable performance d'acteur, tour à tour horripilant, touchant, démentiel, parano et fichtrement drôle. Cela compense les faiblesses de ce film ovni trop long, parfois répétitif dans son propos, inabouti dans la comédie, pourtant son objectif premier. Une curiosité bancale mais à voir.
Quant à « J.P. », pas d'inquiétude : il ne fera jamais carrière dans le rap mais sera des prochains films James Gray et Paul Thomas Anderson. Ouf.