Hitchcock
Dans la foulée de The Girl, un téléfilm produit par la chaîne de télévision HBO sur les rapports houleux entre Alfred Hitchcock et Tippi Hedren lors des tournages des Oiseaux et de Marnie, après que Vertigo ait été déclaré par le magazine Sight and Sound « meilleur film de tous les temps », l'année Hitchcock se poursuit avec un biopic signé de Sacha Gervasi, le scénariste du Terminal de Spielberg.
Après tout, le réalisateur de Vertigo avait été, en son temps, un pionnier du marketing cinématographique, le premier à comprendre le bénéfice qu’il pouvait tirer de son image rondelette et goguenarde. Mais plutôt que d’embrasser la carrière entière de celui qu’on appelait, jusque dans les années 1980, le « maître du suspense », Gervasi a choisi de centrer son récit sur le moment où Hitchcock, après le triomphe de La mort aux trousses en 1956, cherche à se renouveler, à expérimenter quelque chose de différent, de plus radical, loin du style glam et élégant de ses récents thrillers.
Ce virage aura lieu deux ans plus tard, en 1959, et s’intitulera Psychose, film d’horreur tourné en noir et blanc, tiré du roman éponyme de Robert Bloch. L’assassinat de la star, Janet Leigh, au bout de 45 minutes, la fameuse séquence de la douche, Anthony Perkins et son motel, le cadavre de Mrs Bates dans la cave : on sait tout (ou presque) de ce classique parmi les classiques, et plus gros succès public d’Hitchcock.
En s’inspirant du livre de Stephen Rebello (Alfred Hitchcock and the Making of Psycho), Gervasi avait de l’or entre les mains, une matière incroyable pour revenir sur la genèse du film, ses démêlés avec les studios et la censure, pénétrer les secrets d’une mise en scène parfaite sur laquelle on continue de gloser, éclairer la direction de spectateurs chère à Hitchcock, expliquer pourquoi et comment d’un roman de gare, le réalisateur de Fenêtre sur cour a tiré un chef‑d’œuvre.
Mais Gervasi a choisi la mauvaise route en doublant la fabrication du film (sur laquelle on apprend rien qu’on ne sache déjà) d’une comédie romantique pitoyable autour de sa femme Alma (Helen Mirren), bluette convenue à peine digne d’une série télé. Comme si le fait de dévoiler, ou de délirer, la vie des stars (ils sont comme vous et moi) renforçait leur aura. Le psychologisme constitue, encore une fois, le trou d’aiguille par lequel le genre se faufile pour toucher le spectateur et créer de l’identification. Comme vous, ils ont dû faire face à des problèmes, ils ont connu des revers, des humiliations, des descentes aux enfers, des déceptions.
Monroe ? Édith Piaf ? Johnny Cash ? Hitchcock ? Des individus ordinaires qui ont mené des vies extraordinaires, soit une autre manière de réduire l’écart fantasmatique entre eux et nous. Les people sont passés par là, poussant les stars, autrefois inaccessibles, à descendre de leur Olympe et à exhiber leur normalité, leurs petits tracas et soucis. Regardez Hitchcock. Un génie de la mise en scène ? Un homme qui a révolutionné le langage cinématographique ? Non, plutôt une barrique boulimique, paranoïaque et alcoolique, sorte de Pierre Tchernia featuring Fatty Arbuckle guidé par l’esprit malade d'Ed Gein (le boucher du Wisconsin qui surgit en chair et en os dans ses rêves !) et convaincu que sa femme s’envoie en l’air avec un scénariste pendant le tournage de son film, ce qui donne lieu à des séquences navrantes où l’on voit Hitch se venger par couteau interposé, de sa dulcinée, en poignardant pour de faux son actrice principale, toute nue sous la douche.
Trivial, hors sujet, anémique, ce Hitchcock est enfin une illustration parfaite de la bêtise produite par l’application, devenue systématique, de la psychanalyse à la chose artistique.