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Los Angeles, dans un futur proche. Theodore, hanté par l'échec de son mariage, achète sur un coup de tête un nouveau logiciel. Intelligent, capable d'évoluer et de développer une vraie personnalité, le programme s'auto‑baptise Samantha. Juste une voix féminine ensorcelante avec laquelle Theodore fait connaissance, échange avant d'en tomber amoureux. Mais les capacités de Samantha grandissent tous les jours, et ses besoins avec.
Ce scénario très sophistiqué, beaucoup plus que le laisse présager son pitch, ne serait rien sans l'exceptionnel talent d'acteur de Joaquin Phoenix. L'acteur se réinvente, retient les chevaux de sa folie habituelle pour incarner avec une délicate intensité un Theodore discret, hanté par les images et les sensations du passé, taraudé par le désir de vivre maintenant et torturé par l'incapacité à rêver l'avenir.
Mais le réalisateur Spike Jonze, par ailleurs auteur du scénario, emploie Scarlett Johansson pour vocaliser et « jouer » la voix de Samantha. L'astuce aurait pu être un coup de génie ‑la comédienne fait effectivement un boulot d'enfer‑ mais s'avère en fait un mauvais tour de magie. Car dès que la voix de Samantha retentit, le spectateur sort du film et « voit » Scarlett Johansson, véritable concentré de sensualité féminine dont le visage et le corps ont été maintes fois sublimés à l'écran. Au lieu d'apprivoiser l'étrange féminité invisible de Samantha comme Théodore, on est immédiatement percutés par l'image mentale et hyper‑sexualisée d'une actrice mondialement connue... En VF, l'astuce reste la même, le doublage de Samantha étant, lui aussi, assuré par une personnalité connue à la sensualité évidente, Audrey Fleurot.
Le dispositif Phoenix‑voix de Johansson est donc d'emblée bancal. Et c'est fort dommage tant Spike Jonze explore l'âme et les tourments amoureux de son héros avec élégance, tant il esquisse avec acuité et nuance des maux contemporains (solitude, enfermement, ego‑centrisme, hyper‑technologie) tout en ayant l'intelligence de laisser assez d'espace au spectateur pour forger son opinion.
Néanmoins, les dialogues d'une extrême beauté ont beau déployer leurs ramures, on perçoit vite l’échafaudage soutenant l'histoire. Spike Jonze, clairement plus intéressé par l'agonie et la fin de l'amour que par son début, expédie un peu vite l'emballement de Theodore pour « elle ». Et, une fois en crise, on anticipe sans peine chacune des étapes de cette love story numérique finalement assez conventionnelle. Après la passion viennent l'ennui, un léger rebond puis l'abandon. Soit, très exactement, le parcours que suit le plaisir procuré par ce film.