Hadewijch
Hadewijch marque sans doute un tournant dans la carrière de Bruno Dumont, auteur d’une œuvre exigeante, austère, de loin l’une des plus stimulantes du cinéma français de ces dernières années.
La vie de Jésus, son premier film en 1997, L’humanité, 29 Palms puis Flandres, autant de titres qui évoquent un cinéma métaphysique, extraordinairement rigoureux d’un point de vue esthétique, traquant les manifestations du mystique au plus près d’une humanité ordinaire, souvent taiseuse et opaque (fermiers du Nord de la France, jeunes désœuvrés de Bailleul, acteurs non professionnels, etc.).
Avec Hadewijch, du nom d’une poétesse et mystique flamande du XIIIe siècle, Dumont poursuit sa quête d’absolu, mais perd en surplomb ce qu’il gagne en sérénité. Céline, autre jeune femme illuminée après celle du film homonyme de Brisseau, est renvoyée du Couvent pour cause de foi démesurée, extatique, inquiétante, presque une « caricature » selon les mots de la Mère supérieure. De retour dans la vie « réelle », immense appartement logé au cœur de l’île Saint‑Louis, Céline tente par d’autres moyens de vivre l’amour qu’elle porte au Christ et se laisse guider par ses rencontres. Parmi elles, Yassine, un jeune de banlieue d’origine maghrébine, et Nassir, son frère, musulman convaincu donnant des cours d’initiation à l’Islam entre deux kebabs.
Reprenant l’un des principes formels de Flandres (passage brutal de la campagne au théâtre de la guerre), Dumont cale son pas sur la trajectoire facile et naïve de son personnage qui saute d’un milieu à un autre, du Paris bourgeois aux cours grisâtres des barres d’immeubles de banlieue, de la France au Moyen‑Orient, sans aucune conscience de sa puissance transgressive (effacement naturel des frontières sociales, sexuelles et politiques). « J’ai filmé la banlieue, pour la première fois, mais sans joie particulière, explique Dumont. Ce sont des lieux sociaux qui portent en eux un vernis social qui ne m’intéresse guère. C’est la raison pour laquelle je vide souvent les plans. Je ne suis pas un cinéaste qui rend compte de la réalité de la vie des Français ».
La naïveté de Céline, ce punctum christique qu’elle traque partout (indifférente aux avances des autres, elle guette les signes concrets d’un amour désincarné, sans comprendre que la chair qu’elle vise, au fond, est celle d’un homme), se répand sur l’ensemble du film et dicte une manière d’empoigner le monde qui fera sans doute grincer quelques dents. Manière déconcertante, d’une incroyable liberté de ton, mais qui possède forcément son envers. Car toute image, quelle que soit la façon dont on l’aborde, porte sa part de connotation, qu’il s’agisse du cliché du Beur des quartiers volant un scooter en plein Paris ou ce raccourci, plus spécieux, entre la pratique de l’Islam et l’explosion terroriste qui défigure la place de l’Étoile. Ces images, pour le moins problématiques (fautes de goût ?), constituent ici le revers d’un film admirable. L’un des musts du mois.