Green Zone
Que dit Green Zone ? 1. Les États‑Unis ont envahi (une deuxième fois) l’Irak en 2003, prétextant la présence d’armes de destruction massive (ADM) afin de déboulonner Saddam Hussein. 2. Plutôt que de s’appuyer sur des Irakiens légitimes, le gouvernement américain a démantelé l’armée nationale (généraux d’hier et chefs du parti baasiste devenus illico hors‑la‑loi), et installé sur le trône un pantin en exil depuis trente ans, aussitôt moqué par ses compatriotes. 3. « Comment, après le mensonge irakien, le monde nous croira‑t‑il désormais ? ». Et c’est Matt Damon qui s’interroge. Résultat, injuste, la guerre est devenue civile et le rêve démocratique s’éteint à petit feu.
On l’aura compris, Green Zone arrive trop tard, au regard de la réactivité coutumière du cinéma hollywoodien lorsqu’il se veut critique (Battle for Haditha, Le royaume, Démineurs, la liste est déjà longue). Paul Greengrass enfonce ainsi deux heures durant des portes ouvertes, place son film sous l’égide fédératrice du film d’action (l’Irak devient ici le théâtre d’un kill them all classique), et colle au centre de son récit un Matt Damon décidément passe‑partout, rugbyman hier (Invictus), G.I Cochonou aujourd’hui, lequel balade sa rectitude morale au milieu d’un chaos frimeur organisé par une caméra et un montage épileptiques.
Ancien journaliste, sans doute fan de Michael Mann dont il a mal digéré la leçon (Miami Vice, modèle souterrain du film), Greengrass a forgé depuis sa trilogie Jason Bourne un style qu’il juge visiblement efficace, une esthétique « sur le vif » parfaitement illisible et épuisante pour la rétine (voir la séquence d’assaut finale). Pourtant, l’essentiel ne réside pas dans le tremblement constant du cadre, mais dans le double discours que le film produit, à la fois critique et révisionniste, engagé et démagogique.
Matt est malin et, très vite, après avoir fait choux gras sur des sites déclarés sensibles, comprend qu’une arnaque monumentale se trame au plus haut sommet de son administration, via un Gepetto cynique (le gouverneur Poundstone, en fait Paul Bremer) qui a décidé que l’Irak marcherait au rythme du pas yankee, et pas autrement. Mais lorsque, à la fin du film, Matt pose à Poundstone la question de la responsabilité de Washington (comprendre G.W. Bush), ce dernier lui répond par une pirouette : « Qu’importe ! Nous avons gagné ! ».
Cette façon de ne pas confondre l’idéal démocratique américain et les individus qui l’incarnent aurait été, dans les années 1970, admirable. Se souvenir du scandale du Watergate dans Les hommes du président, ou comment la dénonciation de Nixon ne remettait pas en cause la grandeur des valeurs US. Mais aujourd’hui, tandis que l’Histoire a tranché, que chacun sait les motivations de cette guerre et la nature du mensonge d’État perpétré par Bush Jr et son administration, Greengrass se recroqueville dans ses petits souliers fébriles et réactive/réhabilite bêtement une hypothèse (Bush ne savait pas ?) à laquelle même le plus acéré des Faucons ne croit plus. Pourquoi ?