Gamines
Sybille, Corinne et Georgette sont élevées par leur mère (Amira Casar), belle brune italienne, air et voix graves. D’ailleurs, tout le monde est brun dans la famille. Tout le monde sauf Sybille, blondinette espiègle constellée de taches de rousseur qui a pris la chevelure de son père, homme absent dont il vaut mieux ne pas parler si l’on ne veut pas provoquer l’ire de la madre. Une simple photo, chipée dans l’armoire maternelle, leur dévoile la trogne du pater. La couleur de son pull. La forme de sa main. Sybille a beaucoup pris de lui. Elle peint, comme lui, mais sans le savoir. Surnommée « l’artiste » par son parrain (Jean-Pierre Martins), Sybille fera de cet atavisme son parcours de vie. Quand elle sera grande (Sylvie Testud), Sybille deviendra actrice. Mais pour le moment, il s’agit surtout de grandir avec le fantôme d’un père qu’elle ne peut ignorer, puisqu’elle le voit partout en elle.
Gamines, c’est un roman de Sylvie Testud. Gamines, c’est aussi la vie romancée de l’auteur. Et Gamines, c’est enfin le nom du film dans lequel elle joue son propre rôle. Alors même si la réalisatrice Éléonore Faucher (Brodeuses) impose sa patte via sa mise en scène aérienne et sensuelle, chérissant les détails, les gros plans feutrés comme pour mieux illustrer la délicatesse de l’enfance, difficile de faire la part des choses tant le film tout entier est habité par la présence de la gouailleuse comédienne.
Qu’importe qu’elle essaie de nous faire croire que son roman n’est qu’une fiction, Sylvie Testud joue ici son propre rôle, à quelques lettres près. Sybille et Sylvie, même combat ? Effectuant des allers‑retours incessants entre doux passé et présent brut, le film séduit plus lorsqu’il dépeint l’enfance de ces trois sœurs à croquer, quand il se fait léger comme ce périple en Italie baigné de soleil. Mais quand il revient au présent, le propos se fait moins universel, centré sur le destin de l’actrice dont on ne discerne plus le vrai du faux. À l’image de cette affiche de film dans le film, qui reprend le visuel des Blessures assassines (où l’actrice joue dans la vraie vie) et ici rebaptisé Les servantes.
Malgré tout le talent de Sylvie Testud, on perd de vue l’intérêt de ce projet, dont la catharsis devait sembler plus subtile à l’écrit. Heureusement, ce drame potentiel ne verse jamais dans le pathos, préférant la jouer tendre comédie aux émouvants atours. C’est en cela que Gamines vaut le détour, pour son parfum de nostalgie et son humour d’enfant.