Fruitvale Station
Cela s’ouvre par des images d’archives qui, le 1er janvier 2009, ont ému l’Amérique et provoqué des nuits d’émeutes raciales. Dans la nuit du Nouvel An, Oscar Grant, un jeune Noir de 22 ans, et sa bande d’amis, sont arrêtés par la police sur le quai de la station Fruitvale, San Francisco. Le contrôle dégénère et Oscar, menotté, est abattu d’une balle dans le dos par un jeune flic qui, lors de son procès (il écopera de deux ans ferme pour homicide involontaire), déclara avoir confondu son flingue et son Taser.
De ce fait divers, Ryan Coogler, jeune cinéaste noir fraîchement diplômé de l’USC et dont voici le premier film, a tiré un mélo bancal et attachant mais dont la vision politique se borne trop souvent à une tapisserie de clichés.
Et c’est dommage : Michael B. Jordan, qui interprète Oscar, campe à merveille ce jeune Noir qui, après plusieurs séjours passés derrière les barreaux, a décidé par amour pour sa compagne et sa petite fille de rentrer dans le droit chemin de la working‑class américaine. Mais celle-ci, en temps de crise et revenue des espoirs levés par l’élection d’Obama en 2008 (lequel n’est plus qu’un poster jauni placardé sur une pompe à essence), ne veut pas de lui. Pourtant, Oscar résiste : à la tentation des conquêtes faciles, au retour à la drogue, aux plans douteux qu’on lui propose, et s’accroche de toutes ses forces à sa décision première.
Fruitvale Station cale ainsi son pas sur les dernières vingt‑quatre heures d’Oscar. Une reconstitution fictive, donc, mais qui ne répond qu’à une seule idée : cet homme en quête de rédemption fut la victime d’une tragédie. Oscar fait la vaisselle avec sa maman, Oscar s'amuse avec sa petite fille, Oscar fait amende honorable avec sa femme, Oscar caresse un chien qui vient de se faire écraser et Oscar va même jusqu’à jeter un sac de dope. Presque un Saint. Jusqu’à cette nuit fatidique où il croise la route d’une bande de flics blancs et racistes, menés par un cerbère au look de nazi.
C’est là que le bât blesse, une deuxième fois : va pour le traitement mélo et délavé de la vie d’Oscar (l’acteur est formidable et Coogler sait capter la magie de situations ordinaires et intimes), mais l’extrême communautarisation de l’Amérique que le film décrit (jusqu’aux cartes de vœux avec mamies blanches que les Noirs évitent) finit par gagner Coogler lui‑même et restaurer les frontières raciales que le récit fait mine de dénoncer.
Sans doute conscient de ce simplisme à fronts renversés (imaginons une seconde ce même film mais avec un Blanc dans la peau de la victime et des brutes noires dans ceux des policiers…), Coogler tente, ça et là, de rééquilibrer artificiellement les couleurs : ainsi de l’échange entre une jeune femme blanche et Oscar devant un comptoir de supermarché, ou avec cet homme blanc sorti de la précarité qui, le soir du Réveillon, lui fait une leçon de confiance. Mais le cœur n’y est pas, si bien qu’on se demande ce que Coogler, en reprenant ce fait divers, a voulu nous dire.