Fighter
Fighter est sans doute depuis Ali (Michael Mann, 2001) le meilleur film de boxe que le cinéma américain nous ait donné, à mi‑chemin du Fat City de John Huston (1972), son modèle, et de The Wrestler de Darren Aronofsky qui, à l’origine, devait en assurer la réalisation.
À partir de l’histoire véridique du boxeur Micky Ward, interprété ici par Mark Wahlberg, David O. Russell, réalisateur des Rois du désert, trouve le parfait équilibre entre la description âpre (mais jamais misérabiliste) de la petite vie d’une famille ouvrière du Massachusetts ‑neuf enfants, une mère tyrannique et des hommes démissionnaires‑ et la dynamique propre au genre, à coups de séances d’entraînement et de combats.
Tout l’art de Russell consiste à nous faire presque oublier l’issue de son récit (pas de dénouement surprise dans un biopic) en se concentrant sur les rapports complexes et symbiotiques entre deux demi‑frères, Micky Ward, le cadet, à l’orée d’une carrière boxeur qui peine à démarrer, et Dicky Eklund (stupéfiant Christian Bale, pathétique et émouvant, dans l’un des rôles les plus passionnants de ces dernières années), ancienne gloire locale dont l’unique fait d’armes est d’avoir réussi à faire chuter ‑ou glisser ?‑ la légende Sugar Ray Robinson lors d’un combat.
Au fond, Micky Ward se bat sur tous les fronts et le vrai ring n’est pas forcément là où l'on croit : lutter contre sa propre famille et cette mère poule qui s’improvise manager mais envoie régulièrement ce fils qu’elle adore à l’abattoir ; contre ses sœurs, clique exubérante et authentiquement white trash (puddings décolorés en guise de coiffures, tee‑shirts roses, clopes au bec et langues de vipères gazouillantes) ; et surtout contre son frère qui, entre deux volutes de crack, poursuit le rêve délirant de revenir un jour au plus haut niveau. Résultat, Russell filme les combats de boxe (surtout le dernier, qui précède les rencontres mythiques entre Ward et Arturo Gatti) comme des moments de communion familiale, et les réunions de famille comme des combats de boxe, à ceci près que les blessures psychologiques infligées hors du ring procurent bientôt au jeune boxeur l’énergie nécessaire qui giclera de ses poings.
La grande finesse de Fighter tient dans sa capacité à ne pas en rester à une opposition de termes convenue (obstacles Vs catalyseurs), à plonger dans le gris des rapports humains, à l’image de Dick Eklund dont on finit par comprendre qu’il est, pour Ward, à la fois nocif et indispensable, son boulet et son meilleur guide. Au sein de cette famille qui gagne peu à peu en richesse (et donc en paradoxe), ce qui freine est aussi ce qui permet d’avancer, et les mêmes affects produisent soit de la castration, soir de l’émancipation. En famille, comme sur le ring, tout est donc question d’équilibre et de position : pour abattre le colosse du Destin, il ne suffit pas de gesticuler ou de cogner dans le vide, il faut d’abord trouver sa juste place.