Eric Clapton : Life in 12 Bars
Une énorme gueule de bois. Voilà l'état dans lequel on ressort des 135 minutes de Life in 12 Bars, film documentaire signé Lili Fini Zanuck racontant de manière extensive la vie mouvementée du guitariste Eric Clapton. Vous pensiez plonger dans l'œuvre d'un des guitaristes les plus acclamés de l'histoire du rock ? Le film en parle, évidemment, mais c'est plutôt sur les drames familiaux, les addictions autodestructrices et l'insatisfaction permanente de Clapton (ses groupes, ses albums, ses amours, sa vie en général…) que se portent longuement les témoignages (venant principalement de Clapton lui‑même, en voix off tout du long) et la narration de ce documentaire morose qui laisse principalement à voir la trajectoire d'un homme seul, triste, bien qu'assez talentueux.
Tout débute pourtant de la plus classique des manières : un jeune garçon anglais dans les années 50 au tempérament d'artiste, qui se passionne pour le blues, achète une guitare et fait ses armes sur les petites scènes rock des Sixties naissantes. Durant ce premier acte, difficile de se passionner vraiment pour un tel parcours tant la réalisation très académique et ronflante donne l'impression d'avoir été déjà vue des centaines de fois : archives d'époque en vrac, longs zooms sur des photos d'enfance, narration entrecoupée de brefs passages musicaux. Malgré certaines douloureuses révélations sur sa jeunesse, sa famille et un minimalisme rafraîchissant au niveau des témoignages (uniquement en voix off), Life in 12 Bars montre alors son manque de mordant, se bornant à une approche chronologique stricte mais s'effaçant derrière un montage sans audace qui entretient parfois un certain flou face à la chronologie des événements (il faut dire qu'il était difficile de suivre Clapton dans les années 60 tant il passait d'un groupe à un autre). Mais peu à peu, le film semble oublier totalement la musique pour aller vers l'histoire de l'homme derrière l'artiste. Et le tableau n'est alors guère reluisant.
C'est sans doute la plus grande force du documentaire : celle de n'avoir peur d'aborder aucun sujet de la vie de Clapton, même les plus difficiles. Mais que garder de ce méticuleux récit d'une descente aux enfers, si ce n'est un léger sentiment de voyeurisme ? Le film s'attarde ainsi longuement sur son obsession quasi‑malsaine pour Pattie Boyd, alors que celle‑ci était l'épouse de son ami George Harrison et pour laquelle il écrira des morceaux comme Layla ou Bell Bottom Blues avec Derek and the Dominos en 1970. Et puis il y a évidemment la bataille contre les multiples addictions, de la cocaïne à l'alcool, qui marqueront presque toute sa carrière. C'est alors le portrait d'un type assez antipathique (le film n'évite d'ailleurs pas le sujet des commentaires racistes lancés sur scène dans les années 70) et complètement paumé qui se déroule longuement et péniblement. À un moment, Clapton lâche en voix off qu'il n'aime pas repenser aux albums de « cette période‑là » car il sent la présence de l'alcool derrière eux. Une animation nous balaye alors les pochettes d'une dizaine d'albums et nous voilà propulsés directement 15 ans plus tard, sans un mot. Parler musique semble alors être le dernier des soucis du documentaire, trop occupé à nous servir sa longue cavalcade d'anecdotes déprimantes, culminant par le décès de son fils, en 1991. Un sinistre point d'orgue après lequel le film ne se laisse plus qu'un petit quart d'heure pour finir en pseudo‑happy end : la sobriété retrouvée, un album Unplugged (sorti en 1992) acclamé par la critique, des vidéos de famille avec une nouvelle épouse et un petit laïus de BB King sur scène pour dire tout le bien qu'il pense d'Éric.
Mais que vaut cette rédemption après tout cela, quand le film s'est autant attardé sur la trajectoire pathétique d'un type dont il semble presque accessoire qu'il ait su jouer convenablement de la guitare ? Sans génie ni œillères, Life in 12 Bars démonte la légende Clapton mais ne laisse rien derrière : ni fascination, ni étonnement, ni passion, ni tragédie. Si cela lui permet d'éviter l'écueil du plébiscite mou, difficile en fin de compte d'acclamer un documentaire qui donne plus envie de distribuer des brochures pour les Alcooliques Anonymes que de réécouter les albums de Cream.