Emilia Perez
Au Mexique, Rita est une avocate surexploitée par un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice et prôner la parité. Un jour, le chef de cartel Manitas s’adresse à elle pour réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années…
Emilia Perez, un choc, un oxymore cinémathographique
Un choc et pas qu’un peu, quand on sort de la projection de ce dixième film signé Jacques Audiard. Le Festival de Cannes où il a été présenté au mois de mai ne s’est pas trompé en lui décernant le Prix du jury, le Prix d’interprétation féminine pour l'ensemble de ses actrices et accessoirement le Cannes Soundtrack 2024 (un prix remis en marge du festival). Oui, la mise scène est brillante, oui les actrices sont formidables et notamment le binôme Karla Sofía Gascón (la révélation du film)/Zoe Saldaña. Selena Gomez et Adriana Paz ont objectivement un peu bénéficié du côté commun du prix, même si leur prestation ne démérite pas. Qu'importe. Elles sont juste en dessous et surtout moins présentent à l’écran. Et enfin, oui, la musique est très belle. Et accessoirement, les chorégraphies aussi.
Évidemment, quand on parle de comédie musicale, il vaut mieux imaginer Annette (Leo Carax) que LA LA Land (Danien Chazelle) ou les Demoiselles de Rochefort (Jacques Demy). Le film nous emporte par son histoire géniale et les parties musicales chantées/dansées ne paraissent en rien incongrues. Elles s’intègrent parfaitement dans le film et le placent d’emblée dans le genre dramatique, mélo exacerbé dans lequel il s’inscrit.
Emilia Perez est donc un choc car honnêtement, sur le papier, il y avait de quoi douter : une comédie musicale féministe et trans sur des cartels mexicains, réalisée par un Français plus adepte des films qui souvent décortiquent la violence et la noirceur masculine… Mais le résultat est là : véritable oxymore cinémathographique, comédie et drame, musicale et sanglante.
L’amalgame de l’autorité et du charme
Ce que l’on retiendra surtout, ce sont ces deux personnages de femmes fortes, l’avocate et l’ex‑parain devenu femme qui s’émancipent à leur manière dans un monde d’hommes, pour au final être rattrapées par leur destinée. L'ananké dont parlaient les Grecs anciens…
Elles sont extraordinaires, touchantes, inspirantes et magnifiques à la fois. Il est d’ailleurs assez dommage de réduire le film à la transidentité. Thème qu’Emilia Perez aborde certes, mais qui n’est presque qu’accessoire : un incroyable ressort scénaristique au service du parcours parallèle de deux personnages et de l’image qu'ils renvoient aux autres, réfutant tour à tour les assignations sexuelles et les frontières morales dans un ahurissant geste de (sur) vie, beau et inconscient.
Encore une fois, le réalisateur d’Un prophète et de Dheepan se réinvente, lorgnant autant vers Almodovar, De Palma ou le soap opera latino, et nous étonne de ses fulgurances formelles qui n’ont d'égales que celles de son scénario.