Elton John : Never Too Late
Novembre 2022 : sur la scène du Dodgers Stadium où il avait joué 47 ans plus tôt, au sommet de sa gloire, Elton John fait ses adieux au public américain à l'occasion d'une dernière grande tournée mondiale. Un moment symbolique qui sert de point de départ au nouveau documentaire Elton John : Never Too Late, coréalisé par RJ Cutler (passé par la fiction avec Si je reste) et David Furnish, l'époux et manager d'Elton John, dans lequel ce concert est présenté comme un ultime baisser de rideau sur une carrière d'un demi‑siècle (en vérité, la tournée s'est poursuivie en Europe pour se conclure en Suède huit mois plus tard, mais le storytelling ne collait plus). L'occasion pour Elton John de se remémorer comment toute cette histoire a débuté. Entre aube et crépuscule, le long métrage navigue ainsi entre une biographie racontant l'irrésistible mais destructrice ascension du musicien jusqu'aux sommets de la pop au début des années 70 jusqu'à ce fameux concert au Dodgers Stadium en 1975, tout en faisant le portrait d'une popstar septuagénaire qui doit commencer lentement à penser au fait que tout ceci ne pourra pas durer éternellement. Mais dans ce mouvement de va‑et‑vient, Elton John : Never Too Late est contraint de rester en surface, offrant de belles séquences mais un résultat imparfait et frustrant.
Une grande franchise et des archives pléthoriques
Pourtant, le documentaire a la chance d'avoir accès à tout ce dont un récit biographique peut rêver : des archives pléthoriques (films d'époque, photos rares, journaux intimes), une histoire dramatique pleine de tubes où se croisent succès, excès et solitude extrême (parfaite pour le cinéma, la preuve avec le biopic Rocketman en 2019) et surtout la possibilité de parler à tous les protagonistes de cette histoire, Elton John en tête, mais aussi ses collaborateurs proches, dont son parolier Bernie Taupin.
Premiers concerts dans les petites salles de Los Angeles, écriture de Tiny Dancer, enregistrement de ses albums culte comme Honky Château ou Goodbye Yellow Brick Road, amitié alcoolisée mais sincère avec John Lennon (qu'Elton fera monter sur scène en 74 dans ce qui sera son dernier concert et que le documentaire nous fait revivre malgré l'absence d'archives filmées) : si la chronologie des événements est parfois floue et si le documentaire célèbre le moindre fait et geste de l'artiste (éludant les quelques albums franchement ratés de cette période), le récit de cette ascension est plutôt efficace. Et c'est avec une grande franchise que le musicien se livre dans ces moments rétrospectifs : son enfance difficile au rythme des disputes de ses parents, son homosexualité qu'il a tenue secrète pendant des années, sa grande solitude au fur et à mesure qu'il devenait une star, son addiction à la cocaïne, son premier couple violent et dysfonctionnel avec son manager John Reid. Autant de blessures sur lesquelles revient un Elton John âgé et quelque peu mélancolique, offrant des nuances touchantes au tableau d'un musicien flamboyant, auquel tout réussissait et qui attirait chaque année des foules de plus en plus grandes en concert.
L'occasion aussi de voir aujourd'hui un homme posé qui a réussi à changer et à trouver le bonheur : marié, père de deux garçons, c'est aussi pour eux qu'il a décidé d'arrêter les tournées aujourd'hui, afin de passer plus de temps à leurs côtés, ce que son père n'avait jamais fait. Et si le fait d'avoir eu ces enfants sur le tard est aussi une source d'angoisse (moment désarmant où il dit regretter le fait qu'il ne verra jamais ses fils se marier à cause de son âge), elle est aussi une source de bonheur sincère que le documentaire éclaire dans quelques séquences familiales mignonnes.
Perdu entre passé et présent
Mais ces moments intimes, toujours très contrôlés, restent limités au cadre assez prudent d'un documentaire qui n'a pas envie de faire de vagues. Pire, toutes les séquences tournées en 2022 peinent à dire quoi que ce soit des enjeux de cette tournée d'adieux : on y voit Elton John faire son podcast avec l'enthousiasme d'un retraité devant une grille de mots croisés, travailler en studio sur un remix électro effroyable de son morceau Tiny Dancer en duo avec Britney Spears, ou encore préparer mollement ses concerts d'adieux. Mais ces séquences s'enchaînent sans rien dire de l'état d'esprit de l'artiste. Que cela fait‑il de dire au revoir à 50 ans de carrière ? Que faire du reste de sa vie ? Ce n'est évidemment pas un artiste de cette carrure qui parlera frontalement de sujets pareils dans un documentaire sur Disney+.
Le documentaire fait le décompte des mois avant la date au Dodgers Stadium, mais tout ce que l'on voit semble montrer une star dans un quotidien business as usual. On en vient donc à attendre souvent que le documentaire revienne sur le récit plus étoffé des années 70. Mais là encore, rien ne nous sort d'un documentaire somme toute très classique sur un musicien culte, comme il en existe des milliers, passant d'un moment fort à un autre sans jamais prendre le temps de gratter le vernis et laissant un peu trop fréquemment la musique en arrière‑plan. Et comme pour le documentaire récent sur Bruce Springsteen, Road Diary, Never Too Late se perd à courir entre passé et présent, incapable de célébrer comme il se doit ni l'une ni l'autre des périodes de la vie d'Elton John. Le résultat reste donc divertissant, bien ficelé, mais finalement assez lisse et oubliable.