par Nicolas Bellet
31 octobre 2023 - 11h03

Delicatessen

année
1991
Réalisateurs
InterprètesDominique Pinon, Karin Viard, Jean-Claude Dreyfus, Ticky Holgado
éditeur
genre
notes
critique
10
10
label
A

Dans une France post‑apocalyptique, la vie d’un des habitants d’un immeuble de banlieue dressé au milieu d’un terrain vague. Un jour, Louison, un ancien clown engagé par un boucher ogre comme homme à tout faire, va découvrir l’amour. 

 

Jeunet joli

Crevons tout de suite l’abcès : oui, le premier film du duo Marc Caro/Jean‑Pierre Jeunet (La cité des enfants perdus) a quelque peu vieilli. Mais ce n’est pas bien grave, cela ne lui va pas si mal que cela, en fait. Avec le temps, le film aux quatre César a pris une très belle patine (merci la 4K) et s’est embelli d’une touche romanto‑poétique supplémentaire. Là où on voyait surtout un film étrange, punk, rétro‑burlesque, magique et fantasmagorique, sublimé par une image étrangement dorée, et seulement ensuite, sa poésie, aujourd'hui, c'est l’inverse. Delicatessen a depuis fait école et ce qui faisait sa différence ne choque plus. Les nouveaux spectateurs seront certainement surpris en découvrant combien il fut précurseur à une époque où le numérique balbutiait et où la grammaire cinématographique et scénaristique ronronnait.

 

On regarde donc Delicatessen avec un œil plus attendri. Si le film a pris de l’âge, il est surtout devenu intemporel et fait désormais partie de l’histoire du cinéma, du moins hexagonale. On se rappelle tout de même qu’il a mis sur orbite, en une scène de coït métaphorique, la toute jeune comédienne Karine Viard, influencé plus d’un directeur de photo et permis à Jean‑Pierre Jeunet de réaliser par la suite le Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Véritable claque esthétique à l’époque de sa sortie, le film l’est d'autant en version 4K Ultra HD remasterisée (supervisée par Jean‑Pierre Jeunet). D'autant que rien ne vaut l’original, face aux nombreuses copies qui pullulent sur les écrans depuis sa sortie…

 

Tout est bon dans le cochon !

Certes, le scénario décousu peut être perçu comme un effilement de scènes‑sketchs sans réelle cohésion, juste propices à de belles images de cinéma (la danse, les égouts, l’Australien…) et de délires horrifiquo‑comiques. Mais au final, c'est un film quasi impossible à oublier. L’histoire se tient, juste un peu brinquebalante. C’est aussi ce qui fait le charme de Delicatessen, toujours sur le point de rompre, sans jamais y parvenir.


La fantaisie et l’audace du film fonctionnent encore plus de trente ans après sa sortie. À la manière des Chaplin, Tati, Buster Keaton ou Méliès dont le film s’inspire largement, il s’est bonifié. On le regarde maintenant avec le cinéma d’aujourd’hui dans les yeux, en se disant que le rythme est lent, qu’il y a pas mal de maladresses, mais charmé par l’exploit que représente de réaliser un tel (premier) film, en 1991. Charmé de se rendre compte que beaucoup des réalisateurs appréciés aujourd’hui lui doivent tant (Wes Anderson, David Fincher, Dupontel). On regarde chaque plan en imaginant les trésors d’ingéniosité qu’il a fallu, à l’époque, pour les réaliser en se disant que tout fut pensé dans les moindres détails.

 

Il n’y a rien à jeter dans Delicatessen, juste à savourer l’imagination au pouvoir…

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4k
blu-ray
cover
Tous publics
Prix : 24,99 €
disponibilité
18/10/2023
image
1 UHD-66 + 1 BD-50, 99', toutes zones
1.85
HD 2 160p (HEVC)
HDR Dolby Vision
HDR10
16/9
bande-son
Français DTS-HD Master Audio 5.1
Allemand DTS-HD Master Audio 2.0
sous-titres
Français pour sourds et malentendants, anglais, allemand
10
10
image

Auréolé d'une restauration 4K complète et d'un réétalonnage d’après le négatif original sous la houlette de Jeunet lui‑même, Delicatesen revient d'entre les limbes de nos souvenirs, certes très beaux mais un peu voilés par le temps. Et la redécouverte est presque totale !

 

La colorimétrie, la définition, les contrastes et le grain ont été ajustés au plus près de la vision originale des cinéastes, du directeur photo Darius Khondji et de leur étalonneur, le film étant passé à l'époque par une étape d'un traitement chimique sur l'interpositif 35 mm pour obtenir ce traitement colorimétrique si particulier. 

 

Résultat : le clair‑obscur, rehaussé de touches de couleur patinées et surtout des fameux halos dorés (appelés « French Gold » à l'étranger), n'a jamais été aussi beau, aussi frais, aussi limpide (voir la scène de l'eau)… Sans compter les reflets des chromes et des lames tranchantes superbement mis en valeur par le HDR Dolby Vision. Quelques rares plans paraissent plus brouillés (l'entretien de l'enseigne par Luison au début du film par exemple) mais sont dus à la présence massive de brouillard, à l'origine mis en place sur le plateau pour accentuer l'ambiance et masquer les marqueurs du studio de tournage (sol, horizon, etc.). Tout simplement parfait. 

8
10
son

On passe d'une antique piste DTS‑HD Master Audio 2.0 française (Blu-Ray) qui souffrait d'un rendu global un peu trop faible, obligeant à monter le volume assez haut pour profiter à la fois des dialogues et de l'univers sonore très riche du long métrage, à une nouvelle dynamique mettant en valeur le sound design du film. Spécialité qui, à l'époque, ne s'appelait même pas encore « sound design ». La séquence du métronome on est le plus parfait exemple… culte. 

 

Les ambiances sont plus présentes qu'autrefois et la musique parvient à donner une unité à ce sommet français rétro‑futuriste mêlant années 30, futur apocalyptique, télévision, télécommande sans-fil, voitures vintage, et bien d'autres éléments piochés dans l'imaginaire collectif. Notons enfin la douceur de cette bande‑son et sa poésie, alors que le film traite d'un sujet glaçant : le cannibalisme.

8
10
bonus
- Commentaire audio de Jean-Pierre Jeunet
- Entretien inédit avec Jeunet et Caro (30')
- Les archives de Jean-Pierre Jeunet (9')
- Making of : charcuterie fine (13')
- Morceaux de résistance (65')
- Livret de 32 pages

On retrouve l'interactivité des anciennes éditions SD et Blu‑Ray (dont l'excellent commentaire audio de Jean‑Pierre Jeunet) avec un passionnant documentaire rétrospectif intitulé Morceaux de résistance, dans lequel les principaux artisans du film reviennent sur les difficultés rencontrées pour mettre ce projet atypique sur pied. 

 

Mais le passage immanquable et la grosse nouveauté de ces bonus, c'est bien sûr l'entretien inédit avec Jeunet et Caro mis en boîte lors de la sortie 4K de La cité des enfants perdus (celui‑ci refusant jusqu'ici de revenir sur ses films passés). Riche d'anecdotes avec les producteurs (en gros, personne ne voulait du film), de souvenirs d'écriture sur l'île de Groix (en mode seuls au monde), l'exercice nous montre les deux réalisateurs en pleine partie de ping‑pong verbal pour notre plus grand plaisir. Les réfrences pleuvent (Doisneau, Quai des brumes, Franju, Cocteau, les films de studio à l'ancienne…) et on boit comme du petit‑lait le récit d'une aventure hors normes, jusque dans le casting. 

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