De rouille et d'os
Depuis Sur mes lèvres, De battre mon cœur s’est arrêté et plus récemment Un prophète, Jacques Audiard est presque devenu dans le cœur des cinéphiles, sous la plume de la presse et dans le monde du cinéma, une icône. En tout cas, une référence incontournable.
Avec De rouille et d’os, le metteur en scène iconoclaste à succès brouille encore une fois les cartes. Pour écrire son scénario, il s’inspire d’un recueil de nouvelles d’un écrivain canadien anglophone, Craig Davidson. Il choisit deux nouvelles et les fusionne, comme pour mieux se les approprier. Il met ainsi en scène la romance entre une handicapée, belle mais meurtrie dans sa chair et son âme par l’amputation de ses deux jambes suite à un terrible accident, et un colosse venu d'ailleurs, videur à ses heures, qui tente de survivre avec son fils dans une société en crise.
Sur le papier, Audiard revisite à sa façon le mythe de la Belle et la Bête. Si tout ce qui renvoie à la crise (la sœur caissière, l'histoire des caméras de surveillance), au fond, fragilise le film, le téléscopage de ces deux êtres malmenés par la vie le renforce scène après scène. Marion Cotillard est bluffante de justesse, tandis que Matthias Schoenaerts, dont la sensibilité contraste avec son physique imposant, se montre tour à tour flamboyant, sensuel, émouvant. Presque mystique.
La caméra d'Audiard filme ses comédiens au plus près, sans artifice (les rais de lumière traversant les scènes de combats clandestins sont d'une beauté inouïe), et les aime (surtout lui) jusqu'à un final « bravache » un peu trop facile, qui contraste avec le ton et la fluidité du reste du film. Quoi qu'il en soit, là où d’autres auraient complètement raté l’alliage de rouille et d’os/violence et délicatesse, Audiard signe des scènes magistrales hors militantisme primaire qui, encore une fois, nous détourne du couple et de son histoire simple, dont on aurait aimé qu’elle soit l'unique fil conducteur.
Audiard est ambitieux, mais parfois aussi un peu gourmand. Un défaut qu'on lui pardonne volontiers tant De rouille et d'os touche au sublime et offre à Marion Cotillard l'occasion de rattraper sa prestation désastreuse de The Dark Knight Rises.