Boarding Gate
Road-movie à retardement, Boarding Gate suit le parcours de Sandra (Asia Argento), ex-escort girl, femme fatale et drug dealer occasionnelle qui, après avoir tué son ex-amant d’une balle dans la nuque (Michael Madsen, impérial), s’enfuit de Paris à Hong-Kong et découvre qu’elle fut la victime d’une machination.
Avec Boarding Gate, Olivier Assayas reprend la ligne de Demonlover et Clean : univers urbain et chic, collusion des économies légales et mafieuses, dislocation identitaire partout relayée par des vitres, des écrans de portables et des lumières stroboscopiques. Après Paris, lieu d’une partie d’échec tendance SM entre deux bêtes qui se reniflent dans des aquariums design, le film change de braquet, comme contaminé par l’énergie immense qui infuse la ville de Hong‑Kong.
Assayas s’abandonne alors à son actrice dont il capte la sensualité sauvage et rejoue les conditions même de son exil. Moins par fascination d’ailleurs (Asia Argento devient alors le punctum magnétique de tous les plans), que par nécessité de trouver un corps de repère, puissant et imprévisible, capable de prendre de vitesse ce monde flux où tout s’échange (import/export des marchandises, des intérêts et des individus fantômes), mais où rien ne tient.
Dans la seconde partie du film, tout tourne autour de Sandra, tout l’effleure ou tout l’engloutit, mais entre cette bête traquée et les autres, plus rien ne circule, que des balles et des coups de poing. Dès lors, on a l’impression qu’Assayas, comme son héroïne d’ailleurs, ne sait pas vraiment où il va, qu’il avance à vue et essoufflé avec, pour seul objectif, de ne jamais s’arrêter.
Étrangement, c’est dans cette incertitude relayée par une mise en scène qui cale son rythme sur la course d’Asia Argento (plans serrés, focale courte, caméra fébrile), que le film parvient à trouver son point d’équilibre. Ou plutôt qu’il troque la fiction de genre (une jeune femme tente de remonter, façon Seventies, le fil du pouvoir avant de s’apercevoir que le flux l’emporte désormais sur la source) pour la description sensible d’un « technomonde » anxiogène et vaporeux dans lequel se fixer quelque part (ouvrir un club à Beijiin pour Sandra), vouloir raccrocher les gants (Michael Madsen) ou s’octroyer un moment de répit (dans une boîte de nuit ou chez ceux que l’on pense être ses amis), relève de l’utopie, du paradis perdu.
Car ici ou ailleurs, à Paris ou à l’autre bout du monde, rien ne change vraiment, à l’exception des langues et des décors (exotismes des rues surpeuplées de Hong-Kong et de ses karaokés). Aucun romantisme de l’échappée donc (formidable séquence du passage de Roissy à Hong-Kong) et ironie des boarding gates puisqu’ici, on embarque pour des destinations qui reviennent toujours au même. À découvrir.