Blue Note Records : Beyond the Notes
Thelonious Monk, John Coltrane, Eric Dolphy, Cecil Taylor... Longue et impressionnante est la liste des jazzmen légendaires passés par le label new‑yorkais Blue Note Records au fil des décennies. Depuis sa création en 1939 jusqu'à la fin des années 60, la maison de disques permit de faire fleurir les plus grands noms de l'histoire du be bop et du hard bop. Un catalogue d'exception mis à l'honneur dans l'excellent documentaire Blue Note Records : Beyond the Notes signé Sophie Huber. Donnant la parole aux légendes du label aussi bien qu'à ses jeunes voix, ce film a des allures de cours d'Histoire tant la liste d'artistes et d'albums évoqués ressemble à un panthéon du genre.
Fondé par les Allemands Alfred Lion et Francis Wolff, ayant quitté leur pays au milieu des années 30 pour rejoindre New York en fuyant le nazisme, Blue Note Records était avant tout une affaire de passion pour les deux émigrés : un label de jazz géré par des fans de jazz, plus occupés à enregistrer les disques qu'ils rêvaient d'écouter plutôt que d'essayer de faire fortune. Après des débuts parfois difficiles, le label commence à trouver une certaine reconnaissance au début des années 50 avec une poignée de disques légendaires. Accueillant les premiers essais de Thelonious Monk (alors incompris du public et qui ne rencontrera le succès que plus tard, quand il rejoindra le label concurrent Prestige), mais aussi de Bud Powell ou de Art Blakey (et ses Jazz Messengers), c'est tout un petit microcosme de musiciens qui se réunissaient dans le cadre très intimiste des sessions Blue Note, avec une équipe de production régulière qui enregistrait sans relâche.
Le documentaire brille dans sa façon de faire comprendre « la touche Blue Note », mettant particulièrement l'accent sur l'attitude et l'audace musicale de ses artistes tout au long des années 50 et 60. Passant d'un musicien à l'autre et illustrant les souvenirs de ces sessions par les nombreuses photos prises en studio par Francis Wolff (toutes plus classes les unes que les autres), le documentaire fascine par le flegme avec lequel il se balade dans l'histoire du jazz, portant un regard curieux et généreux qui donne envie de se remplir les oreilles des disques que l'on aurait pu manquer. C'est alors avec plaisir que l'on écoute des vétérans du label (Lou Donaldson, Wayne Shorter, Herbie Hancock…) nous raconter des anecdotes de cette époque. On ne se serait sans doute pas lassé d'une heure de plus pour évoquer d'autres artistes, d'autres albums, d'autres sessions...
Tombé en désuétude à la fin des années 60 suite à un malencontreux rachat, le label sera mis en sourdine dans les années 70, cessant alors d'innover là où l'audace était sa plus grande force. Pour rebondir sur cette période de disette, le documentaire bifurque alors avec intelligence sur les rapports entre le hip‑hop des années 80 et 90 et la façon dont celui‑ci a pu sampler et se nourrir des disques légendaires de Blue Note, donnant la parole alors à Q‑Tip, leader d'A Tribe Called Quest. Une belle façon d'inscrire l'histoire du label, relancé en 1984, dans celle de la musique afro‑américaine tout entière et de dresser des parallèles entre les luttes d'hier et celles d'aujourd'hui. Bouclant la boucle avec élégance, le documentaire termine en évoquant la participation de deux jeunes forces vives du label (Robert Glasper et Ambrose Akinmusire) sur l'album déjà légendaire To Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar, montrant la richesse pouvant émaner de la rencontre de deux genres pas si éloignés que l'on pourrait le croire.
Réalisé avec sobriété et intelligence, laissant parler la musique et les artistes pour mieux faire comprendre leur apport à l'histoire du jazz tout en donnant envie d'aller dévaliser son disquaire le plus proche, Blue Note Records : Beyond the Notes est un documentaire passionnant à la hauteur du label qu'il met en lumière.