par Émilien Villeroy
23 décembre 2024 - 12h20

Beatles '64

année
2024
Réalisateur
AvecJohn Lennon, Paul McCartney, George Harrison, Ringo Starr
plateforme
genre
sortie
29/11/2024
notes
critique
5
10
A

A‑t‑on réellement besoin d'autres documentaires sur les Beatles ? C'est la curieuse question qui vient en tête en regardant Beatles '64, un nouveau long métrage ayant pour objet la fameuse première visite des Fab Four aux États‑Unis, en février 1964. Pourtant, les productions récentes étaient plutôt enthousiasmantes, tout particulièrement le long documentaire Get Back réalisé par Peter Jackson en 2021, un des films musicaux les plus passionnants de ce premier quart de siècle. Mais pour autant, les années passant, c'est un amer constat qui doit être fait : il n'y a pas une infinité de choses à dire sur la petite décennie de carrière des Beatles, et tout l'amour que l'on porte au groupe ne saurait effacer l'impression de redite et de remplissage qui se dégage de ce nouveau documentaire, assemblage confus de banalités sans direction ni propos clair.

 

Précieuses images des frères Maysles

Utilisant le prétexte de la restauration pour justifier son existence, Beatles '64 s'appuie principalement sur les images tournées à l'époque par les frères Albert et David Maysles, immenses documentaristes américains (on leur doit le documentaire culte Gimme Shelter sur les Rolling Stones ainsi que le génial et excentrique Grey Gardens en 1975). Sorties à l'époque sous le nom de What's Happening! The Beatles in the U.S.A, ces séquences montrent le groupe anglais essentiellement parqué dans son hôtel new‑yorkais, assiégé par des jeunes fans hystériques, et qui tue le temps en écoutant la radio et en faisant des blagues jusqu'à leurs prochains engagements.

 

En effet, accueillis à l'aéroport de New York par 5 000 fans, ils resteront deux semaines outre‑Atlantique, faisant une apparition légendaire à la télévision dans le Ed Sullivan Show, une courte prestation live qui sera regardée par 73 millions de téléspectateurs. Jouant également quelques concerts face à des foules déchaînées (dont plusieurs extraits sont montrés), les Beatles repartiront en étant devenu le groupe plus populaire du pays, avec plusieurs de leurs singles caracolant en tête des charts pendant des mois. Un voyage mémorable que les images des frères Maysles nous font ainsi vivre dans l'œil du cyclone, à côté de ces gamins qui découvrent soudain un pays qu'ils avaient fantasmé durant leur adolescence et à l'origine de toute la musique qui les a inspirés. Ces moments intimes sont entrecoupés de discussions cocasses entre leurs fans à l'extérieur, qui racontent, extatiques, lesquels des quatre garçons sont les plus beaux ainsi que toutes sortes de stratagèmes mis en place pour rencontrer leurs idoles. Ces images très joyeuses et drôles sont ce qu'il y a de plus intéressant dans Beatles '64, et même si elles n'ont rien d'inédit, leur restauration nous fait replonger en 1964 comme si c'était hier.

 

Hors sujet et écriture maladroite

Le problème vient donc de tout le reste, en premier lieu de l'absence totale de cohérence qui se dégage du film. Nommé Beatles '64, le documentaire aurait mieux fait de s'appeler Les Beatles rencontrent les USA tant il se préoccupe uniquement de la réaction du public américain. Pour ce faire, la parole est donc donnée à plusieurs fans présents à l'époque, qui se souviennent du passage du groupe sur le territoire. Des témoignages touchants qui semblent faire déborder d'émotion les intervenants (on appréciera évidemment de voir David Lynch évoquer son amour de la musique avec beaucoup de poésie), mais qui ne racontent rien de bien neuf ou de croustillant. On s'étonnera même d'entendre les anecdotes un peu hors sujet du producteur américain Jack Douglas, certes futur collaborateur de John Lennon en solo, mais qui nous raconte ici son voyage clandestin à Liverpool… en 1965, ou encore les souvenirs très précis du musicien Sananda Maitreya (alias Terence Trent D'Arby) qui avait lui à peine 2 ans en 1964.

 

Le documentaire se perd aussi en voulant replacer les Beatles dans leur contexte, un exercice honorable s'il n'était pas fait avec autant de maladresse. Le film s'ouvre ainsi sur un montage qui trace un trait entre l'effet de gueule de bois qui s'était abattu sur le pays suite à l'assassinat de Kennedy et l'effervescence de l'arrivée de Beatles, quasiment décrit comme le moment où les Américains ont enfin pu faire leur deuil ‑raccourci romantique mais évidemment un peu réducteur‑. Plus loin, le documentaire s'arrête brièvement sur les tensions raciales qui traversaient le pays : Smokey Robinson, le chanteur des Miracles, note que les Beatles étaient parmi les premiers groupes blancs à assumer leur amour pour des artistes noirs et à en revendiquer l'influence, ayant d'ailleurs repris le morceau You Really Got a Hold On Me des Miracles sur un de leurs premiers albums. Une jolie petite histoire mais qui semble bien peu de chose face à un sujet aussi grave, surtout entre deux séquences d'adolescentes qui hurlent.

 

Un monument de recyclage

Et puis difficile de ne pas ressentir l'incroyable recyclage auquel nous avons le droit ici d'un bout à l'autre. Car en dehors même d'être composé majoritairement de séquences d'un film déjà existant, Beatles '64 nous ressert également de nombreux extraits de la série documentaire Anthology sortie dans les années 90. Et si on peut excuser ces redites pour faire parler Lennon et Harrison, effectivement plus très frais pour raconter leurs souvenirs de 1964, l'affaire devient embarrassante quand on nous ressert pareillement des vieux entretiens avec Paul McCartney et Ringo Starr ! Et si ces derniers ont effectivement été interviewés pour l'occasion, leurs contributions sont bien faiblardes : Ringo fait voir des vieilleries à Martin Scorsese dans son manoir, pendant que Paul nous lâche des anecdotes qu'il radotait déjà il y a 30 ans (son père qui lui dit de chanter « yes yes yes » au lieu de « yeah yeah yeah » dans She Loves You pour ne pas faire trop d'américanismes).

 

Pire, le documentaire ne donne aucune chronologie claire, ne date aucun document d'archives (alors qu'il y a de nombreuses séquences plus tardives avec Lennon), et fait même dans l'anachronisme en nous faisant entendre les morceaux In my Life (décembre 1965), She Said She Said (1966) ou encore cette reprise de Yesterday par les Miracles qui date de 1968. Un fourmillement qui, une fois de plus, ne poserait pas autant de problèmes si le documentaire ne s'appelait pas Beatles '64. Alors bien sûr, il y a toujours ce plaisir à passer du temps avec les Beatles, à revivre cette époque, à réécouter ces morceaux légendaires. Mais il existe déjà une manne de documentaires et de films (Anthology et Get Back en tête) offrant exactement cela, sans avoir à y ajouter de nouvelles réalisations brouillonnes, lisses et surnuméraires.

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