Bad Lieutenant, escale à la Nouvelle-Orléans
Lorsqu’on lui demandait s’il avait vu le Bad Lieutenant d’Abel Ferrara et ce qu’il en pensait, Werner Herzog répondait par la négative, façon sans doute de dissiper le malentendu contenu dans le titre de son film. Le Bad Lieutenant de Herzog n’entretient avec celui de Ferrara qu’un rapport lointain, fantomatique même, si ce n’est que dans les ceux cas, on suit un flic cocaïnomane et halluciné (Harvey Keitel chez l’autre, Nicolas Cage ici), côtoyant partout les puissances du Mal et enquêtant sur un meurtre inaugural (ici, une famille sénégalaise). Pour le reste, la comparaison s’arrête là. Le flic de Herzog poursuit sa quête comme un obstiné, protège une prostituée dont il va tomber amoureux (Eva Mendes, dans un rôle presque identique à celui qu’elle avait dans La nuit nous appartient), pactise avec les mafias locales et transgresse la loi à tout bout de champ.
À l’origine, Bad Lieutenant se déroulait à New York. Herzog a tenu à déplacer l’intrigue à la Nouvelle‑Orléans, juste après l’ouragan Katrina, autrement dit dans une ville en crise dont les repères se sont effondrés. Le film s’ouvre sur un serpent furetant dans les eaux boueuses d’une prison laissée à l’abandon, manière très herzogienne de mélanger l’homme et la nature, la réalité et l’hallucination (voir ces iguanes que seul le flic perçoit).
Débarrassé de toute l’imagerie religieuse du film de Ferrara, ce Bad Lieutenant évolue entre la tragédie et la farce, le grotesque et la poésie, filme des gunfights sur fond de musique cajun et des âmes de gangsters abattus qui dansent comme si de rien n’était.
Une petite merveille qui, après Rescue Dawn, montre que le réalisateur d’Aguirre et de Fitzcarraldo est revenu au premier plan.