Aviator
À 62 ans, après Gangs of New York (fresque monumentale sur la fondation de la Big Apple) et avant l'excellent Les infiltrés (remake d'Infernal Affairs d'Andrew Lau), Martin Scorsese retrouve son acteur fétiche, Leonardo DiCaprio, De Niro des années 2000, à ceci près que l'ami Leo pèse suffisamment lourd à Hollywood pour débloquer un projet sur lequel Christopher Nolan et Michael Mann (producteur du film) planchaient depuis des lustres. Aviator, soit la vie démesurée du mégalo Howard Hughes, producteur (Scarface, Le banni, Les ailes de l'enfer), pilote, milliardaire, séducteur, provocateur, au moins de 1927 à 1947, période que balaie le film en presque trois heures. Les films, devrait-on dire…
Premier film : les vingt années glorieuses au cours desquelles Hughes secoue le front hollywoodien (sage reconstitution des années 30, apparition de Katharine Hepburn, son amante, Ava Gardner, Erol Flynn, Louis B. Mayer, description hilarante de la commission de censure), et ébranle le monde de l'aviation avant son passage devant la commission des activités anti-américaines (impasse regrettable) et son déclin légendaire qui le mènera dans une villa de Las Vegas, où il vivra reclus jusqu'à la fin de sa vie, entre bocaux remplis d'urine et mouchoirs usagés. Sans doute la partie la moins intéressante du film, sa part académique, son cahier des charges. Irréprochable mais lisse et consensuel. Objectif : les Golden Globes et les Oscars bien sûr. Car il y a indéniablement du Scorsese dans ce personnage obsessionnel, rongé par l'idée du contrôle et prêt à beaucoup (trop ?) pour continuer d'exercer sa passion (avions et films, même combat). Du devenir épave de Hughes -c'est là que débute le second (et meilleur) film- Scorsese choisit d'en pointer l'origine. C’est le film dans le film.
Séquence d'ouverture en forme de trauma, moment « Rosebud » de Hughes, lorsque sa mère livre à son fils un mot prémonitoire : « Quarantaine… ». Tout un programme. L'autre Hughes vient de naître, le phobique, le maniaque de la propreté, celui qui rechigne à serrer les mains des autres, devient fou à la vue d'une poussière, perd les pédales à chaque manifestation organique de l'Autre. Ce Hughes-là, on l'imagine, absorbera peu à peu son jumeau triomphant, comme la folie hygiénique avait raison du Taxi Driver (« nettoyer » les rues de New York), de Jake La Motta (Raging Bull) et surtout de Peter Bernuth qui, dans The Big Shave (1967), se mutilait à force de rasages. Aviator navigue alors entre deux eaux, séquences grandioses et propres, puis instants intimes, les meilleurs, où Scorsese se retrouve enfin.