Au nom de la terre
Flop à Paris, véritable carton en Province, la sortie cinéma du premier film d'Édouard Bergeon souligne étrangement la faille qui sépare le monde des petits paysans du reste de la société, enclavé dans un terroir qui se réduit à peau de chagrin et plus que jamais au bord de la rupture.
Tout commence quand Pierre (Guillaume Canet) rentre des États‑Unis avec des rêves de grandeur et d'élevage intensif plein la tête. Après avoir repris la ferme familiale (Rufus, parfait en père « à l'ancienne »), Pierre, qui a tout pour être heureux (une femme, des enfants, des terres…), commence peu à peu à crouler sous les dettes. Entre les coups du sort à répétition, les prêts pour des machines agricoles et des stabulations surdimensionnées, une série de mauvais choix et la chimie mortelle qu'il s'inflige sans se poser de question, la vie de Pierre et sa famille tourne bientôt au drame le plus absolu, suspendu à un dénouement inévitable qui dit tout d'une certaine idée de l'agriculture qui traversa les décennies au sortir de la guerre.
Pierre, c'est le père du réalisateur que l'on découvre à la fin du film à travers des images touchantes de famille. Un père aimant, courageux, passionné, coincé dans une époque que l'on espère révolue, une époque où l'on pouvait produire sans se poser de questions, ni sur l'environnement, ni sur le bien‑être animal. Produire toujours plus sous la coupe des grands groupes agricoles et des banques.
En filmant son histoire personnelle avec la minutie d'un technicien du cru, Édouard Bergeon parle bien sûr du monde paysan qui agonise et prévient une fois de plus : cela finira mal. Une lente plongée en enfer que ni sa femme ni ses enfants ne sauront stopper avec tout leur amour. Malgré quelques maladresses scénaristiques, on ne peut qu'être touché par cette famille d'agriculteurs en lutte et désolé pour eux comme pour nous‑mêmes : avons‑nous seulement tiré les leçons de tous ces drames nichés dans nos campagnes ? Un film à méditer qui récolte un succès mérité et quatre étoiles d'encouragement.