Attila Marcel
Paul, 33 ans, vit avec ses deux tantes qui désespèrent de le voir devenir pianiste virtuose. Muet depuis l’âge de 2 ans, date de la mort accidentelle de ses parents, Paul mène une vie sans souvenir ni passé. Mais une voisine originale, Madame Proust, décide de l’aider à retrouver les sensations de son enfance grâce à un savant cocktail d’hallucinogènes et de musiques ayant bercé ses premières années.
Comment l’imaginaire poétique et inventif de Sylvain Chomet, auteur des Triplettes de Belleville et de L’illusionniste, allait‑il passer des horizons sans limite de l'animation aux prises de vues réelles et à l’incarnation par des acteurs en chair et en os ? Durant un court prologue, le pré‑générique, on craint que Chomet, impressionné par ce « nouveau » médium, ne se soit réfugié dans un univers d’emprunt, en l’occurrence l’esthétique rétro‑nostalgique créée par Jeunet dans Amélie Poulain. Mais très vite, cette crainte d’un univers refuge se dissipe : le style et l'imagination de Chomet sont trop fertiles pour ne pas se parer d'originalité.
Il faut dire que le réalisateur a su se donner les bons outils. Un ton d'abord, puisque pour donner chair à son épopée mémorielle ‑l’essentiel du film est constitué d’incursions dans les souvenirs réprimés par Paul‑ Chomet a composé un cocktail de fantaisie, de séquences chantées et de mariages musicaux improbables qui, loin d’être un foutoir, révèle au contraire une cohérence et une grande richesse émotionnelle.
Chomet est aussi épaulé par l’équipe qu’il fallait. Des acteurs qui se révèlent tel Guillaume Gouix qui, contraint de jouer Paul essentiellement sur son regard, témoigne d’une irradiante puissance émotionnelle. Une Anne Le Ny, dont on connaissait les qualités dramatiques, qui avec Madame Proust, montre au grand jour un éventail d'humour noir ou solaire dévastateur. Une Bernadette Lafont enfin, qui, pour son ultime rôle, prend un malin plaisir à fissurer son personnage de vieille fille coincée lors d’une anthologique mais trop courte séquence de biture aux cerises à l’eau de vie…
Avec Attila Marcel, Chomet a su créer un nouveau genre, une psychothérapie/comédie musicale, et un nouveau décor, un lieu mémoriel qui ne reprend vie et signification qu’en musique. Il en dévoile doucement les paysages originaux (le combat catch/tango) en ôtant délicatement les écailles qui obstruaient l’âme de Paul. Subtilement, le film ose les mélanges, faire rire à gorge déployée puis émouvoir aux larmes quelques instants après. Que la musique soit forte ou subtile, l'expérience est unique, l'émotion devient comme une nouvelle frontière. Attila Marcel est une inoubliable ode au bonheur et à la vie, loin, très loin des boules de naphtaline.