Amnesia
Ibiza, début des années 90. Jo (Max Riemelt), aspirant DJ de 25 ans, vient de s’installer sur la côte. Il fait la connaissance de Martha (Marthe Keller, lumineuse), une femme mûre qui vit à quelques mètres de chez lui. Les deux voisins se lient très vite d’amitié, mais Martha a des fêlures qu’elle refoule depuis quarante ans…
Tout prédisposait Jo à rencontrer Martha, leur passion commune pour la musique, bien qu’elle ne touche plus à son violoncelle, et surtout le pays dont ils sont originaires, l’Allemagne. Ainsi, deux générations s’entrechoquent en dépit de la quiétude insulaire des criques et de l’amour platonique qui les unit. Avec Jo, nous pénétrons dans le passé de Martha, son refus de parler sa langue natale, de boire du Riesling ou encore son mépris pour la Volkswagen de son ami (« le triomphe posthume de Hitler » selon elle), se justifiant par ses traumas de guerre.
L’irruption de ce jeune compatriote la pousse aux aveux, étape préliminaire à sa guérison. Mais elle ne le doit pas seulement à leur idylle « qui se laisse vivre » (pour reprendre les propos de Schroeder) dans la première partie du film, le grand‑père (Bruno Ganz) et la mère (Corinna Kirchhoff) de Jo, conviés à déjeuner, briseront ensuite cet écrin protecteur. De la même manière que Martha retrouve la parole « germanique » pour révéler les causes de son exil, le vieil homme sort du silence et cherche à se libérer d’un poids, celui de la grande Histoire assiégeant la sienne. Ses confessions fendront à jamais le cœur de son petit‑fils, qui l’admirait tant. Néanmoins, quel que soit leur camp durant la guerre, le grand‑père et Martha sortent de l’amnésie et accomplissent, non sans écorchures, leur devoir de mémoire.
En 1969, Barbet Schroeder choisissait la maison maternelle pour y réaliser son premier film, More, l’histoire d’un jeune couple d’étudiants accro à l’héroïne et ravagés par une passion destructrice. Près de cinquante ans plus tard, Amnesia (du nom du célèbre club local) indique la voie de la reconstruction personnelle.
Martha Keller (Marathon Man, Fedora), marquée par les séparations et les drames familiaux pendant la Seconde guerre, est éblouissante de justesse. Enfin, la sublime photographie de Luciano Tovoli (Suspiria, Le désert des Tartares) enveloppe personnages et paysages dans une lumière hors du temps, à l’abri des remous de l’Histoire. À voir absolument.