Alice au pays des merveilles
Lorsqu’on l’interrogeait sur la version de Walt Disney, Tim Burton répondait : « Le problème est qu'aucune émotion ne se dégage de cette Alice. On ne tisse pas de lien affectif avec elle. Ce que j'aime dans mon personnage, c'est qu'il possède un côté grave, une sorte de vie intérieure. J'ai fait grandir Alice. C'est le genre de jeune personne qui ne rentre dans aucune case sociale. Je me suis toujours dit qu'il manquait quelque chose au personnage de Disney, une touche de gravité, ou une âme ».
Ici réside sans doute la nouveauté de la version ourdie par Burton du chef‑d’œuvre de Lewis Carroll. Son Alice n’est plus cette gamine un peu fade trimballant son air étonné dans un monde délirant, mais une jeune femme de 19 ans qui, le jour où un ahuri de roux lui demande sa main, prend ses jambes à son cou, direction un terrier pas comme les autres. Chute interminable, et voilà notre Alice plongée dans le monde coloré et paradoxal de Carroll revisité par l’humeur potache (des étoiles et des crottes de chien dans le ciel) et mélancolique de Burton, à l’image du chapelier hystérique (Johnny Depp, yeux verts et tignasse orangée), à la tête d’un banquet en ruines et plein de fleurs fanées.
Comme toujours, le réalisateur de Mars Attacks ! joue pour et en‑contre, dépoussière et assassine. Tout en respectant le cahier des charges Disney et la dimension initiatique du récit (pour grandir, il faut savoir rapetisser), cette Alice réinvestit tout le bestiaire (lapin pressé, chenille bleue, jumeaux bouffis), mais le mine de l’intérieur, comme un conte de fées repeint au film d’horreur, par des inventions aussi savoureuses que dérangeantes, de la Reine Rouge (Helena Bonham Carter), sorte de naine hydrocéphale qui terrorise des serviteurs grenouilles, au chat qui s’évapore littéralement dès que le danger guette, en passant par le nouveau congénère, le chien Bayard, sympathique cabot esclavagisé par un prince tout sauf charmant.
Une réussite totale qui démontre que la source créatrice de Burton est loin d’être tarie.