Air Doll
Dans un appartement silencieux et sans vie de Tokyo, un homme d'une quarantaine d'années parle avec affection à une poupée gonflable, la touche, lui fait l'amour. Tous les soirs, en rentrant du travail, c'est le même rituel. Un beau jour, comme par magie, la poupée de plastique et d'air, baptisée Nozomi, cligne des yeux. Elle prend peu à peu vie. À présent, la voilà seule dans les rues de la mégapole, profitant de l'absence de son « maître » pour partir à la découverte de ce nouveau monde qui s'offre à elle, plein d'immeubles impersonnels qui poussent comme des champignons et où subsistent parfois, dans les interstices, quelques zestes de poésie. Dans une rue, une boutique l'intrigue particulièrement : un vidéoclub. On y recrute une vendeuse…
Via une fable fantastique et urbaine au postulat casse‑gueule, adaptée d'un manga, Kore‑Eda (nominé pour la Palme d'or pour Nobody Knows en 2004, et également connu pour Still Walking et After Life) livre sa vision mélancolique et éthérée d'un monde dont il symbolise le vide existentiel par celui, bien réel, qui emplit l'enveloppe de plastique de sa poupée. Le réalisateur file donc la métaphore tout au long de son film, allant jusqu'à faire avouer à ses personnages qu'ils sont aussi vides à l'intérieur que l'est Nozomi.
Le metteur en scène ne se contente pas de cette image, profitant de la spécificité de son personnage principal, mi‑humain mi‑objet, pour tenter une seconde métaphore, celle de la femme japonaise : en retrait, en silences, en pulsions inassouvies tandis que l'homme la désire selon des fantasmes standardisés (voir la conception des visages des poupées gonflables dans l'usine ou encore la garde‑robe très enfantine de Nozomi).
Le procédé est parfois facile, mais permet à Kore‑Eda de livrer quelques séquences fortes, pleines de poésie et parfois étrangement érotiques, déplaçant sa caméra avec une lenteur contemplative, comme pour mieux ralentir la société qu'il filme, monde agité par un flux perpétuel et ininterrompu et où tout est interchangeable, jetable. Décidément, la mégapole japonaise vue par ses contemporains semble, au mieux, plongée dans un spleen inconsolable, au pire, comme chez Sono Sion (Suicide Club) ou Tetsuya Nakashima (Confessions), tourmentée par ses démons, l'individualisme en tête.