A Dangerous Method
Début du siècle, Zurich puis Vienne, le débutant Carl Jung (Fassbender) voit débarquer Sabina Spielrein (Knightley), une patiente diagnostiquée « hystérique ». S’inspirant des travaux de Freud (Mortensen), il tente sur la jeune femme, une Russe cultivée mais plombée par un père castrateur et un tropisme SM, ce qu’on n'appelle pas encore une psychanalyse. Dans le même temps, Freud lui envoie pour traitement un toxicomane lubrique et amoral (Cassel), qui ne va pas tarder à décoincer Jung le corseté.
Quelles contorsions critiques délirantes faudra‑t‑il, cette fois, inventer pour tenter de faire croire qu’avec son nouveau film, David Cronenberg n’a rien perdu de sa puissance, et mieux (ou pire), qu’il a atteint, encore une fois et après History of Violence et Les promesses de l’ombre (deux fois bof), une maturité complète ? Quel tour de passe‑passe rhétorique transformera l’inertie compassée du film, sa forme conventionnelle et ripolinée, en preuve d’un tumulte intérieur qui peine à affleurer ? Quel détail anodin tiré de derrière les fagots permettra de relier cette Method à Videodrome ou au Festin nu ?
Pour l’heure, on ne peut que constater la chute vertigineuse d’un auteur chéri jusqu’à Crash en 1997, film de la synthèse et point d’origine de sa dégringolade artistique (souvenez‑vous du fiasco Spider dont A Dangerous Method pourrait être le codicille immobile). Celui que la critique institutionnelle qualifiait de « pornographe » dans les années 1970 (Frissons, Rage, Chromosome 3) a fini par obtenir la reconnaissance (La mouche et Faux semblants), puis la consécration (président du Festival de Cannes en 1999). En quinze ans, Cronenberg a gagné en sérieux et en respectabilité ce qu’il a perdu en invention, en brutalité, en visions.
À quoi ressemble donc ce film ? À une enfilade pénible de séquences bavardes et en huis clos, à deux ou trois personnages mis en scène comme autant de consultations chez le psy (l’un devant et l’autre, forcément, derrière), à un exposé scolaire des théories freudiennes et jungiennes façon Dossier de l’écran, à une bonne copie moins classique que terriblement conventionnelle, flanquée de cette arrogance propre au super‑auteur qui vous écrase d’un grand sujet.
Keira Knightley fait tout ce qu’elle peut (gesticulations, grimaces de prognate, grands yeux de mérou, élocution saccadée) mais la belle n’est ni Elizabeth Taylor ni Vanessa Redgrave ; Mortensen, barbe de prof et pipe au bec, fait « Hum… hum… » et ressemble au Capitaine Haddock, quant à Michael Fassbender, il est le seul à tirer son épingle du « Je ».
Cela dit, la psychanalyse, les formes étranges et anarchiques de l’esprit, les déchaînements organiques d’un corps hors de contrôle, ont toujours hanté l’œuvre de David Cronenberg qui, à défaut d’être d’un grand cinéaste, fut un grand créateur d’images. Dans Chromosome 3, une jeune mère de famille transformait ses pensées négatives en d’horribles petits monstres meurtriers, dans Videodrome, le patron d’une chaîne de télé câblée se métamorphosait en homme‑magnétoscope, dans Le festin nu, des machines à écrire cafards croisaient un étrange mugwump. C’était l’époque où Cronenberg déchirait le voile de la réalité tangible et convertissait ses idées, ses pensées, ses métaphores, en images folles et tératologiques.
Depuis, le cinéaste ontarien a intériorisé tous ses monstres (à moins qu’il n’en ait plus en stock) et se contente de discourir bourgeoisement sur les profondeurs chaotiques de la psyché humaine. Pourquoi pas ? Mais il n'y a plus grand‑chose à voir.