3h10 pour Yuma
Pari risqué et plutôt réussi. James Mangold, réalisateur du très bon Copland, décide de tourner un western et prouve encore une fois qu’il suffit d’une étincelle pour que ce genre, dont André Bazin disait qu’il incarnait « Le cinéma américain par excellence », renaisse de ses cendres.
3h10 pour Yuma fut d’abord réalisé en 1957 par Delmer Daves (que l’on a connu en meilleure forme, voir La flèche brisée), à partir d’une histoire d’Elmore Leonard, comme une réponse au fameux (et très surestimé) Le train sifflera trois fois de Fred Zinneman. À l’époque, Glenn Ford tenait le rôle de Ben Wade le bad guy et Van Hefflin celui d'Evans, un fermier héroïque acceptant de convoyer la terreur de l’Ouest jusqu’à Contention, Arizona, afin de le mettre dans le train de 3h10, direction la prison de Yuma.
James Mangold reste fidèle à la structure originale, développe certaines séquences (la fin notamment, remarquable), et surtout, approfondit les rapports entre les deux hommes (Russell Crowe et Christian Bale) qui, au fil de leur périple, se découvrent une même aliénation. Car le véritable conflit que filme Mangold oppose moins deux hommes situés de part et d’autre de la Loi (version de Daves), que la nouvelle ligne de partage que trace, en cette fin de XIXe siècle, le Cheval de Fer, symbole de la progression inexorable de la civilisation avec son capitalisme déjà sauvage, son exploitation d’ouvriers asiatiques (fait avéré que seul Peckinpah dans Coups de feux dans la Sierra avait déjà montré), et ses essaims d’hommes d’affaires crapuleux prêts à tout pour imposer leur marché. Souvenons-nous d'Il était une fois dans l’Ouest de Leone, sans doute le modèle souterrain du film, dans lequel le bras armé de la compagnie ferroviaire était interprété par Henry Fonda. Ici, c’est son fils, Peter, qui reprend symboliquement le flambeau. Ainsi, au fil de leur périple mouvementé, Evans et Wade réalisent combien, l’un parce qu’il possède une terre qui contrarie le tracé prévu du chemin de fer, et l’autre parce qu’il dérobe régulièrement les fonds de la compagnie, font obstacle à la puissance capitaliste et finiront par trouver chacun, mais du même côté, la voie de la dignité.
Il faut dire un mot de Russell Crowe qui endosse à merveille la tenue du hors-la-loi impitoyable et raffiné (il dessine, cite la Bible, etc.), brutal mais juste, autrement dit pourvu d’un code d’honneur en voie d’extinction (Liberty Valance, déjà). Au fond, cette nouvelle version de 3h10 pour Yuma est au western ce que La nuit nous appartient de James Gray est au polar : un western hyperclassique mais dénué de toute nostalgie, qui réactive certes les ingrédients du genre (les trognes patibulaires de la bande de Wade, la rencontre avec un posse peu amène, l’amour impossible entre le hors-la-loi et une tenancière de saloon, un affrontement nocturne avec les Apaches, un fils qui, comme dans L’homme des vallées perdues, apprendra à respecter son père), mais qui n’oublie ni le détour transalpin accompli par le genre dans les années 60 (Ben Foster, le bras droit loyal et sadique de Wade, porte sur ses épaules tout l’héritage du western italien), ni la nécessité de revisiter les valeurs universelles (la morale, l’héroïsme, la Loi) que le western classique, alors convaincu de leur intemporalité, charriait avec lui.