« It’s alive ! », s’écria le baron Frankenstein en contemplant sa progéniture. Tout commence en 1816 par une nuit d’orage sur les rives du lac Léman. Mary Shelley, le poète Byron et quelques amis, occupent leurs veillées en se racontant des histoires de fantômes. Ce soir‑là, Byron propose d’inventer le récit le plus terrifiant possible. De leur joute oratoire naît Frankenstein (roman éponyme publié en 1818), le plus célèbre des mythes de la littérature et du cinéma fantastiques, talonné de près par son compagnon de toujours, Dracula.
Frankenstein, du nom du baron qui lui donna la vie, devient rapidement dans l’imaginaire collectif celui de la créature. Fable prométhéenne sur les dangers qu’encourt l’Homme lorsqu’il tente de se substituer au Divin, Frankenstein trouve dès sa parution un écho phénoménal. À cette époque, les délires de la jeune Mary Shelley donnent en effet corps au galvinisme, courant de pensée très répandu qui suppose qu’un tissu organique peut recouvrer la vie grâce à une série de chocs électriques. Fabriquée à partir d’organes humains, la créature de Victor Frankenstein n’aurait probablement pas connu un tel succès si son créateur ne lui avait implanté le cerveau d’un criminel…
Frankenstein et tous les autres
Très tôt, le théâtre puis le cinéma s’intéressent au roman, y voyant une source inépuisable de métaphores sur l’humain, la monstruosité et la science. Au début des années 30, le studio Universal se lance dans une série d’horror movies, adaptant un à un les mythes les plus célèbres de la littérature fantastique, de Frankenstein à Dracula en passant par les inévitables loups‑garous, hommes invisibles et autres momies. En 1931, la firme confie ainsi à James Whale le soin de porter à l’écran l’histoire tragique du baron Frankenstein. La conception des maquillages est dévolue à Jack Pierce : front haut, membres couturés, cou serti par deux boulons et démarche maladroite. Boris Karloff est le premier et le plus célèbre interprète du monstre.
Un riche filon
Devant le succès du film, Whale récidive quatre ans plus tard avec La fiancée de Frankenstein, dans lequel le plus humain des monstres demande à son créateur maudit de lui fabriquer une compagne. En 1935, Roy Rowland Lee achève la trilogie Frankenstein avec Le fils de Frankenstein, où sont réunis Karloff et Bela Lugosi (Monsieur Dracula en personne), lequel interprète le rôle d’Igor, le serviteur teigneux du fils du baron.
La fiancée, le fils, la femme…
À force d’exploitation, le mythe se dégrade peu à peu et tombe dans les griffes de la parodie, en 1948, avec Deux nigauds contre Frankenstein. Il faudra attendre neuf ans avant que la célébrissime Hammer Films ne s’en empare et lui donne un sang neuf. Fini le noir et blanc et la violence suggestive (cf. le meurtre de la petite fille dans Frankenstein), Terence Fisher joue, lui, la carte de la couleur somptueuse, aidé par son chef‑opérateur Jack Asher. Dans Frankenstein s’est échappé, il propose une nouvelle lecture du roman original et transforme le baron (interprété par Peter Cushing) en un scientifique pétri d’idéalisme. Celui‑ci se trouve en proie à une créature sanguinaire, jouée par Christopher Lee (qui reprendra le flambeau draculéen de Bela Lugosi au sein de la Hammer). De 1957 à 1970, la firme britannique ne produira pas moins de sept adaptations, parmi lesquelles La revanche de Frankenstein (Fischer, 1957), L’empreinte de Frankenstein (Freddie Francis, 1964) et Frankenstein créa la femme (Fisher, 1966).
Le mythe revisité
À partir des années 70, le roman de Mary Shelley subit les adaptations les plus éclectiques : Paul Morrissey réalise Chair pour Frankenstein et tombe dans le versant nécrophile et déjanté. En 1974, Mel Brooks croque le mythe et réalise son hilarant Frankenstein Junior, tandis que Kenneth Branagh propose en 1994 de revenir aux sources du roman et nous en livre une version baroque et mélodramatique. Méconnaissable, Robert De Niro prête ses traits et sa voix à la créature la plus célèbre de l’histoire du cinéma.
À voir : Frankenstein (James Whale, 1931) • La fiancée de Frankenstein (James Whale, 1935) • Le fils de Frankenstein (Roy Rowland Lee, 1939) • Le spectre de Frankenstein (Erle C. Kenton, 1942) • La maison de Frankenstein (Erle C. Kenton, 1944) • Frankenstein s’est échappé (Terence Fisher 1957) • La revanche de Frankenstein (T. Fisher, 1957) • L’empreinte de Frankenstein (Freddie Francis, 1964) • Frankenstein créa la femme (T. Fisher, 1966) • Le retour de Frankenstein (T. Fisher, 1969) • Chair pour Frankenstein (Paul Morrissey, 1973) • Frankenstein Junior (Mel Brooks, 1974) • Frankenweenie (Tim Burton, 1984) • Gothic (Ken Russell, 1985) • Frankenstein (Kenneth Branagh, 1994)