Cette réponse cinématographique à la peur atomique, orchestrée par un certain Inoshiro Honda, fut inspirée par Le monstre des temps perdus d’Eugène Lourié (1953). Elle est à l’origine d’un genre prolifique (le kaiju‑eiga, traduisez « films de grands monstres », notamment inspiré par King Kong) et une myriade de clones (Godzilla affrontera tour à tour Mothra, King Kong, Rodan, Baran, Dagora et Gidorah).
Anxiogène à mort
Réveillé par des expériences atomiques douteuses, Godzilla, un monstre préhistorique, émerge de l’océan et détruit Tokyo. Impuissante, l’armée fait appel à un savant possédant une arme redoutable capable d’anéantir la bête. La firme Toho, sous l’égide de laquelle Honda réalise Godzilla, fait alors fortune et transforme le cinéma populaire japonais des années 50 et 60 en un gigantesque réservoir de monstres, symboles de la peur engendrée par le péril atomique. L’avancée inexorable du monstre vers les villes (avec une prédilection pour Tokyo), dont il écrase du pied les paysages, les édifices et les populations, traduit cette angoisse.
Hommage au carton‑pâte
Véritables passages obligés du genre, les fameuses séquences mettant en scène la destruction de maquettes miniatures (réglées par Eiji Tsuburaya, le gourou des effets spéciaux de l’époque) constituent le squelette narratif de tout film de monstres digne de ce nom. Nombreux sont d'ailleurs les cinéastes américains, de Steven Spielberg (la fin de Lost World) à Joe Dante (Panique à Florida Beach) en passant par Roland Emmerich (lequel multiplie dans son Godzilla les clins d’œil à son aîné comme la séquence du vieux pêcheur qui renvoie à celle du début du Godzilla de Honda), qui ont su rendre hommage aux films japonais.
Effets spéciaux Vs méthode traditionnelle
À la différence des effets spéciaux américains, le Godzilla japonais est en fait un simple déguisement. « Tsuburaya, expliquait un comédien, m'a montré King Kong. J’étais très impressionné. Je me rappelle lui avoir demandé combien de temps il lui faudrait pour arriver à un tel résultat. Il m’a répondu qu'image par image, en animant le monstre, il aurait besoin de sept ans. Avec un homme déguisé, il lui suffirait de six mois. Le costume pesait 100 kilos. C’était un mélange de gomme et de plastique, très solide. Le plus difficile était de ne pas perdre le nord. Comme la tête de Godzilla était au-dessus de la mienne, je devais calculer avec soin son inclinaison. Lorsqu’il crachait sa flamme radioactive par exemple, je devais décider de l’angle longtemps à l’avance ».
Les temps changent
Les années passant et le succès toujours grandissant obtenu par les tribulations dévastatrices de Godzilla, les dirigeants de la Toho ont l’idée de décliner le concept et inventent d’autres monstres. Mais le public, constitué d’une part grandissante d’enfants, oblige à reconsidérer l’aspect négatif du lézard. Peu à peu, celui‑ci devient une bestiole sympathique et les kaiju‑eiga, comme les films de monstres Universal de l’époque, tombent rapidement dans la parodie. « Le premier film de la série auquel j’ai participé, se souvient Eiju Tsuburaya, Mothra contre Godzilla, était amusant. En revanche, l’image du monstre y était très différente de celle, terrifiante, du premier film. À l’origine, il s’agissait d’un descendant du tyrannosaure. Et puis en devenant le symbole même du kaiju, du monstre géant, Godzilla s’est changé en une créature débonnaire pour enfants. L’époque voulait cela. Quand je me suis retrouvé en charge de l’image de Godzilla, j’ai procédé par tâtonnements. Il ne fallait pas le rendre trop humain, mais je ne pouvais pas non plus revenir au monstre terrible qu’il avait été ». Aujourd'hui, les monstres ne font plus peur, car au cinéma comme dans les séries télé, la fin du monde est déjà là.