Défendre les autres, écrire à leur sujet, s’interroger sur des cinématographies différentes tout en signant des œuvres profondément françaises, tels sont les deux visages de Bertrand Tavernier, cinéaste et critique.
Cinquante ans de cinéma américain
L’ouvrage qui lui a permis d’acquérir ses galons d’exégète du cinéma d’outre‑Atlantique s’intitule Cinquante ans de cinéma américain. Co‑écrit avec Jean‑Pierre Coursodon et Yves Boisset (Radio‑Corbeau, Un taxi mauve), l’ouvrage n’était à l’origine qu’un numéro spécial de la revue Cinéma 60 et balayait vingt ans de cinéma américain. Puis, au fil des décennies, le volume prit de l’ampleur et fut régulièrement réédité, jusqu’en 1991, date à partir de laquelle cinquante années pouvaient être envisagées.
Le militant
L’activité cinéphilique, critique et engagée du réalisateur de L’appât n’est plus à démontrer. Directeur de la collection Cinéma qu’il dirige aux Éditions Acte Sud, il édita les mémoires de Michael Powell et fut à l’origine d’un livre sur Riccardo Freda. Parallèlement, Tavernier fut une figure de proue de la révolte des Sans‑papiers et amateur audacieux de sujets sensibles. L’Éducation Nationale par exemple, avec Ça commence aujourd’hui (1999). Un vrai militant, donc, qui se bat sur tous les terrains.
Le Nickel-Odéon
Né à Lyon en 1941, il écrit tôt dans de nombreuses revues (Les cahiers, Positif, Cinéma...) et fonde son propre cinéclub, le Nickel‑Odéon. Dans les années 60, il exerce le métier d’attaché de presse. C’est ainsi qu’il représente et défend des cinéastes tels que Joseph Losey ou Elia Kazan. Ce n’est qu’en 1973 qu’il se dirige vers la réalisation, avec L’horloger de Saint‑Paul, qui marque sa rencontre avec celui qui deviendra l’un de ses acteurs fétiches, Philippe Noiret. Dans ce film, il adapte Georges Simenon et suit le destin d’un père de famille qui, après un meurtre perpétré par son fils, apprend à le connaître. Le film obtiendra le prix Louis Delluc.
La reconnaissance
L’année suivante, il tourne Le juge et l’assassin (avec Noiret toujours et Michel Galabru), Que la fête commence, qui marque le début de reconnaissance, puis signe en 1979 un brûlot sur les médias (La mort en direct) annonçant Le prix du danger que Boisset réalisera peu de temps après. Au cours des années 80, Bertrand Tavernier semble délaisser la satire sociale et tourne un film intimiste réunissant Gérard Lanvin et Nathalie Baye (Une semaine de vacances).
Entre cinéma de genre et films plus légers
Il s’intéresse également au cinéma de genre avec Coup de torchon, tiré d’un roman de Jim Thompson. En 1984, il réalise l’un de ses films les plus émouvants, Un dimanche à la campagne, dans lequel il offre à Sabine Azéma, actrice fétiche de Resnais, l’un de ses plus beaux rôles. Suivront des films plus légers, témoignant de son goût pour le cinéma populaire (La fille de d’Artagnan en 1994) et des œuvres plus ambitieuses, où il traque les mécanismes intimes de la société contemporaine. Ainsi, L 627 (1992) ou L’appât, qu’il signe en 1995, sont parmi les meilleurs témoignages produits par le cinéma français sur son époque. Dans le premier, il met à jour les conditions de travail des forces de police et brise la vision manichéenne des flics ; dans le second, il s’interroge sur la violence adolescente sur un mode clinique et glaçant. Marie Gillain, dans le rôle d’une meurtrière naïve et insouciante, est éblouissante.
Premier doc
Depuis, Tavernier continue son parcours, entre productions critiques et films ambitieux, de la Princesse de Montpensier à Quai d'Orsay, première intrusion du cinéaste dans l'univers de la BD. En 2015, devrait sortir son documentaire Mon voyage dans le cinéma français (de 1930 à 1970).