John Ford et le western, une association aussi logique que celle unissant Hitchcock et le suspense. Pourtant, L'homme qui tua Liberty Valance est loin d'être représentatif du style visuel du réalisateur, lui qui est surtout connu pour son utilisation des magnifiques décors naturels de Monument Valley, notamment dans ces impérissables classiques que sont Fort Apache, La prisonnière du désert, La charge héroïque ou La chevauchée fantastique.
Le fond
Rien de tout cela dans L'homme qui tua Liberty Valance. Et pourtant, le long métrage est l'un des westerns les plus puissants jamais réalisés. À la fois parabole sur le processus de civilisation d'un continent, fable sur la fin d'une époque (celle des pistoleros) et le début d'une autre (celle de la politique), réflexion subtile sur la nécessité de la violence pour imposer la loi des hommes, et de l'éducation pour propager les idéaux démocratiques, L'homme qui tua Liberty Valence fait preuve d'une finesse d'écriture toujours aussi bluffante aujourd'hui, qu'on le découvre pour la première fois ou le revoit pour la centième.
Et la forme
La revoyure s'impose d'autant plus que le noir et blanc sied idéalement au film : le manichéisme visuel inhérent au procédé (opposition du clair et de l’obscur) permet à Ford de jouer malicieusement avec les codes (voir ce plan très « film noir » où Wayne/Doniphon, après avoir scellé son destin, entre dans l’ombre profonde d’une ruelle, mais éclaire soudainement son visage en s’allumant une cigarette) tout en montrant les incertitudes d’une époque où la gloire des héros de l’Ouest -et donc leur représentation colorée habituelle- cède la place à l’ambiguïté morale de la politique. Il n’est pas interdit d’y voir le désenchantement d’un homme devant l’évolution du pays qu’il a glorifié depuis toujours. Le long métrage est d'ailleurs le dernier western de légende que livrera Ford à la postérité…
Pour son 60e anniversaire, L'homme qui tua Liberty Valance est annoncé le 24 mai 2022 en 4K Ultra HD chez Paramount. En cadeau bonus, ci-dessous, la présentation du film de JB Thoret en 2016 au Centre des arts d'Enghien.