Comme chaque année, les fans du cinéma de genre ont pu trembler pendant quelques jours dans les montagnes vosgiennes, à l'occasion du Festival du film fantastique de Gérardmer. Fêtant cette année son 32e anniversaire, l'événement a attiré cette année encore des marées de cinéphiles dans des séances qui ont quasiment toutes affiché complet, avec neuf films en compétition officielle et une vingtaine d'autres longs métrages à découvrir. Un programme foisonnant avec quelques très belles réussites, dont certaines ont été primées.
In a Violent Nature, un slasher méditatif qui nous place du côté du tueur
C'est le grand vainqueur de cette 32e édition, récompensé par le jury présidé par l'actrice Vimala Pons : le slasher canadien In a Violent Nature, réalisé par Chris Nash (dont c'est le premier long métrage), est reparti de Gérardmer avec le Grand Prix. Un film qui a pourtant divisé le public, beaucoup n'ayant pas goûté à son concept décalé et radical.
En effet, In a Violent Nature retourne les codes du film de genre à la Vendredi 13 en nous proposant de passer tout le film aux côtés d'un tueur mort-vivant qui va aller tranquillement achever ses victimes (une bande de jeunes qui lui ont volé sans trop le savoir un objet précieux à ses yeux). Et comme notre Jason des forêts canadiennes n'est pas spécialement pressé d'aller accomplir ses massacres, la caméra passe beaucoup de son temps à simplement suivre le tueur tandis qu'il marche lentement dans la foret, à l'affut de sa prochaine victime.
On pense évidemment au cinéma de Gus Van Sant comme Elephant lors de longs travellings qui suivent le personnage de dos, le représentant comme une force de la nature inébranlable. Une déconstruction du genre qui aurait pu être encore plus avant-gardiste mais qui offre tout de même une vraie bouffée d'air frais : pas de musique stridente, pas de montage frénétique, toute l'horreur d'In a Violent Nature vient de ces plans qui présentent l'action en temps réel avec une froideur implacable, replaçant l'angoisse de l'origine inconnue de la menace par l'anxiété de la voir inexorablement se rapprocher de ses prochaines victimes.
In a Violent Nature est d'ores et déjà disponible en streaming en France sur la plateforme Insomnia (désormais avec Canal+), dédiée aux films d'horreur et de genre.
Rumours, satire politique et apocalyptique complètement folle
Autre réalisation canadienne d'un tout autre genre, Rumours nous vient d'un trio de réalisateurs : les frères Evan et Galen Johnson, accompagnés par l'excellent Guy Maddin, dont la filmographie depuis les années 80 est l'une des plus avant-gardistes et brillantes de sa génération.
Mais avec Rumours, c'est une satire politique acerbe que nous proposent les trois cinéastes. On y suit une réunion des dirigeants du G7 à la suite d'une grande crise internationale dont les contours restent flous. Réunis dans un château en Allemagne, leur session de travail d'écriture de discours est interrompue quand les leaders mondiaux découvrent qu'il ne reste plus qu'eux dans le domaine… Utilisant le fantastique comme prétexte à toutes ses excentricités, Rumours est avant tout une comédie noire complètement dégantée qui dépeint avec virulence et humour l'absolue inutilité des dirigeants politiques face à certains événements (chacun y verra sa métaphore…), portée par des dialogues savoureux et un casting impeccable, tout particulièrement Cate Blanchett en double d'Angela Merkel, mais aussi Denis Ménochet (croisé dans As Bestas ou récemment chez François Ozon), truculent en président français. Le festival de Gérardmer ne s'y est pas trompé, offrant au film le Prix du Jury ex-aequo.
Rumours sortira en salles le 7 mai prochain.
Exhuma, quand la Corée du Sud exorcise ses démons
Deuxième film à avoir reçu le Prix du Jury, Exhuma était le seul film venu d'Asie de la sélection, mais il a su convaincre grâce à son efficacité redoutable et son histoire labyrinthique. On y suit une poignée de spécialistes du paranormal engagés par une riche famille dont certains membres semblent être tourmentés par des esprits vengeurs. Une malédiction qui trouve son origine dans les montagnes du nord de la Corée du Sud, et qui va se révéler extrêmement tenace et violente…
Réalisé par Jang Jae-hyun, Exhuma réussit à convaincre dans sa première moitié grâce à la façon très pragmatique dont il traite le surnaturel, comme le montre le personnage joué par Choi Min-sik (l'acteur culte de Old Boy et I Saw the Devil), petit artisan qui s'occupe de cérémonies d'exhumation comme on ferait appel à un plombier en cas de fuite. Et puis, au fur et à mesure, le film s'étend de manière étonnante, venant s'inscrire non seulement dans le folklore de l'archipel, mais également dans son histoire récente. Et si le scénario est quelque fois légèrement confus, les moments d'effroi sont nombreux et bien ficelés, nous emportant jusqu'à une conclusion haute en couleur.
Pas encore de date de sortie cinéma, mais on espère que ce prix permettra à Exhuma de trouver un chemin dans les salles obscures.
Oddity, l'enquête terrifiante d'une medium sur le meurtre de sa sœur
Venu d'Irlande, Oddity de Damian McCarthy nous a offert les moments de peur les plus efficaces de tout le festival, assez en tout cas pour décrocher le Prix du Public. Film hanté et tendu, il raconte la quête d'une medium aveugle qui utilise ses capacités pour essayer de découvrir le responsable du meurtre sanglant de sa sœur dans une bâtisse isolée de la campagne irlandaise.
Porté par l'interprétation brillante et mystérieuse de Carolyn Bracken dans un double rôle principal (la medium dans le présent et sa sœur dans les flashbacks), Oddity est un film efficace et simple qui sait parfaitement où il veut aller et nous emporte dans son mystère et ses frissons avec beaucoup d'intelligence. Beaucoup d'effets classiques du cinéma de genre y sont rejoués (les bruits mystérieux dans les pièces sombres, les apparitions glaçantes dans le dos des personnages), mais il y a quelque chose de rafraîchissant à regarder un film aussi bien ficelé, capable de captiver avec une économie de moyens mais surement pas une économie d'idées, faisant clairement de Damian McCarthy un réalisateur à suivre.
Comme In a Violent Nature, Oddity est disponible en streaming en France sur la plateforme Insomnia.
Else, un premier film fascinant, en chantier pendant plus de dix ans
Gérardmer est aussi l'occasion de découvrir des films complètement à part, qui surprennent par leur inventivité et leur vision singulière. Et cette année, c'est clairement à Else que revient cette palme. Réalisé par le Français Thibault Emin et en gestation durant 13 ans, le film propose un mélange des genres étonnant.
Débutant comme un film de confinement à la limite de la rom-com farfelue, Else suit un jeune couple contraint de se cloitrer dans un appartement à la suite d'une étrange et inexplicable épidémie qui voit les êtres vivants fusionner avec les objets qui les entourent… Peu à peu, avec beaucoup d'inventivité et des images parfois stupéfiantes, le film nous amène dans une atmosphère apocalyptique unique et touchante.
Si le film n'est pas exempt de quelques vraies maladresses qui rallongent parfois inutilement sa durée, sa créativité visuelle est indéniable, évoquant en vrac l'onirisme d'un David Lynch, les accumulations étouffantes de Shinya Tsukamoto ou le pur désespoir viscéral des films de Konstantin Lopushansky. Une découverte enthousiasmante que l'on espère voir dans les cinémas sous peu, et qui nous rappelle pourquoi, d'année en année, on retourne avec le même plaisir dans les salles obscures du Festival de Gérardmer.