Bertrand Blier, ultime provocation, le cinéaste casse sa pipe

le 22 janvier 2025 - 10h25

Fils de Bernard, né en 1939 à Paris, mort le 20 janvier 2025, Bertrand Blier n'était pas un cinéaste consensuel. Certains voient en lui un provocateur érudit n'hésitant pas à franchir les limites du bon goût afin de secouer les esprits trop rigides (dans ce genre-là, Calmos atteint des sommets), d'autres lui reprochent son systématisme, sa posture hautaine et poujadiste sur des personnages qu'au fond, il méprisait. « L'idéal, expliquait Blier à ceux qui voulaient entendre, ce serait de faire du cinéma où tout ne serait pas prémaché, prédigéré, préchié. Où il y aurait encore un peu de boulot pour le spectateur ». 

Après avoir été l'assistant de Denys de la Patellière et de Christian-Jasque, Bertrand Blier tourne son premier film en 1963. Hitler, connais pas dénonce l'amenésie grandissante de notre société et met en scène un groupe de jeunes passant son temps à dire : « Hitler, connais pas ». Le grand public ignore le film et force Blier à une longue traversée du désert dont il sortira magistralement avec Les valseuses. Film-étendard d'une génération libérée des tabous et de toute forme d'autorité, Les valseuses trouve à sa sortie des réactions virulentes : « Film d'obsédé sexuel » pour les uns, film « authentiquement nazi » pour les autres, Blier sera dès lors un cinéaste qui divisera la critique et le public. Car de film en film, le réalisateur de Buffet froid ne cessera d'enfoncer le clou, considérant le cinéma comme un champ d'expérimentation formel et thématique. Lucides, froids et terriblement manipulateurs, les films de Blier aiment suprendre le spectateur, le dérouter, lui tendre des pièges et l'amener sur des fausses pistes.

 

« Je me fous complètement de la psychologie »

« Au cinéma, explique le cinéaste, on reste toujours paralysé par le réalisme. Or moi, ce sont les ruptures qui me font progresser dans mes histoires. En fait, je me fous complètement de la psychologie ». En digne héritier de Buñuel (l'une des rares influences qu'il revendique totalement), Blier impose à ses récits une logique du cauchemar. Dès lors, on peut passer d'une époque à l'autre en deux plans (Merci la vie), se balader avec une porte décrochée (signe de la perte de repères) dans les rues de Marseille (Mastroianni dans Un, deux, trois, soleil) et imaginer une rame de métro envahie par des hordes de femmes voraces (Calmos).

 

Des personnages enfermés

D'Anouk Grinberg (prostituée dans Mon homme et fille d'une famille banlieusarde misérable dans Un, deux, trois soleil) au trio audiardien de Buffet froid (Bernard Blier, Depardieu et Carmet), en passant par Delon en alcoolique dans Notre histoire, les personnages de Blier vivent dans un univers carcéral, le plus souvent irréel et désert. Les séquences de la barque dans Buffet froid ou celle de l'exil de Rochefort et Marielle dans un village sans femmes dans l'insolite Calmos soulignent toute la claustrophobie viscérale et malade qui veine l'univers de Blier. « Lorsque j'ai écrit Buffet froid, tous les producteurs m'ont traité de malade et m'ont conseillé d'aller me reposer à la campagne », se souvenait le cinéast. À la campagne, Blier a trouvé l'idée de Beau-père (1981) concentrée autour des rapports ambigus et incestueux entre une jeune fille et son beau-père (Dewaere dans l'un de ses plus beaux rôles).

 

« J'ai écrit Buffet froid en deux semaines »

Un an plus tard, il mettra à nouveau en scène un fantasme sexuel, celui d'un homme qui ne rêve que de coucher avec « la femme de son pote » (Isabelle Huppert). Puis viendra Notre histoire (avec Delon et Baye) et Tenue de soirée, l'un de ses plus gros succès. Blier inverse les données de la séduction et jette le trouble dans l'esprit du spectateur en transformant Josianne Balasko en objet de jouissance pour Gérard Depardieu (son acteur fétiche) avec Trop belle pour toi.

 

En cinquante-six ans de carrière et dix-neuf longs métrages, Bertrand Blier n'a jamais oublié de faire des films en prise avec les problèmes de la société française. La France de Pompidou passée au crible des Valseuses ou celle de la misère et des banlieues épinglée dans Un, deux, trois soleil. Mais « celui pour lequel j'ai le plus d'affection, avouait Blier, c'est Merci la vie, parce que c'est un film dans lequel je me suis éclaté comme metteur en scène. En fait, je me suis fait très peur. C'est mon plus beau souvenir de cinéma. Pour Buffet froid, c'est l'écriture du scénario qui a été magique parce que je l'ai écrit en deux semaines. Ça ne m'était jamais arrivé ».

 

Il s'est éteint le 20 janvier et avec lui le cinéma d'une époque.

 

Filmographie Bertrand Blier réalisateur : Hitler, connais pas (1963), Si j'étais un espion (1967), Les valseuses (1974), Calmos (1975), Préparez vos mouchoirs (1976), Buffet froid (1976), Beau-père (1981), La femme de mon pote (1983), Notre histoire (1984), Tenue de soirée (1986), Trop belle pour toi (1989), Merci la vie (1991), Un, deux, trois, soleil (1993), Mon homme (1996), Les acteurs (2000), Les côtelettes (2003), Combien tu m'aimes ? (2005), Le bruit des glaçons (2010), Convoi exceptionnel (2019)

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